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Et tes aînés en qui rayonnent, palpitans,
Malgré l’affront de l’âge et le malheur des temps,
L’allégresse et l’ardeur de leurs premiers vingt ans.

Mais écarte, au contraire, écarte de ta voie
La tristesse où bientôt la volonté se noie,
La stérile ironie et sa gaîté sans joie.

La vie est sérieuse et quelquefois meurtrit,
Pleure alors, mais espère et, lorsqu’elle sourit,
Laisse la douce joie alléger ton esprit.

Mais ne viole point l’un ni l’autre domaine
Et garde que jamais un désir ne t’amène
À jouir bassement de la misère humaine ;

Car des tristes laideurs le jour où tu rirais.
En pensant éblouir tu n’illuminerais
Que ta propre indigence et tes penchans secrets.

— Et ne tiens pas ce monde, où sont, dans la souffrance,
Le bien avec le mal en âpre concurrence.
Pour un spectacle offert à ton indifférence ;

Regarde vivre, mais qu’il tombe de tes yeux
Un regard pitoyable et non pas curieux ;
Et d’ailleurs, vis toi-même, et cela vaudra mieux ;

Car tu pourrais unir, en lassant ton envie,
Les lettres, la science et la philosophie.
Jamais rien de vivant ne sort que de la vie.


IV.


Mais il faut me comprendre et que vivre n’est rien
Telle vie amoindrit le cœur, je veux le tien
Sans cesse dilaté, joyeux et fort ; — vis bien.

Vis bien pour bien aimer, car voici la merveille !
C’est le son de ton cœur qui frappera l’oreille ;
Toujours sera ton œuvre à ton amour pareille.