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forcés de porter leurs paillasses à la pluie ou dans la boue pour ne pas être noyés.

Aujourd’hui ces causes de la dégradation de l’espèce n’existent plus au même degré ; il s’en faut de beaucoup. Les caves ne sont plus habitées, les quais sont déblayés, les maisons qui couvraient une partie des ponts sont démolies ; on redresse et on élargit les rues, l’air circule où on en manquait entièrement. De nombreuses fontaines lavent les rues, que l’on nettoie avec plus de soin, et des égouts, chaque jour plus nombreux, accélèrent les écoulemens. Les abattoirs ont affranchi toutes les maisons occupées par des bouchers de ces tueries qui formaient dans Paris mille ruisseaux de sang, que la moindre chaleur rendait infects. Enfin, on éloigne des quartiers habités tout ce qui peut répandre de mauvaises odeurs. Le peuple aussi est moins hideux, moins difforme qu’il ne l’était il y a soixante ans et sa destruction moins rapide ; il ne périt plus comme alors à la quatrième génération, qui, lorsqu’elle se reproduisait encore, ne le faisait que par des culs-de-jatte.


C’était ce peuple « hideux et difforme » que les tueries exécutées jusque dans les rues par les bouchers avaient habitué à l’odeur du sang, qui, tout à l’heure, allait entrer en scène, se précipiter, en demandant du pain, sur ce Versailles de la royauté dont Thiébault, avec un esprit critique qui sent déjà la Révolution, nous parle en ces termes :


En 1787, 1788 et 1789, je revis Versailles embelli de toutes les parures de l’été. Sous un autre rapport, il est une foule de choses paraissant insignifiantes à sept ans et qui, de quinze à dix-neuf, parlent à l’imagination et à la raison, au cœur et à l’esprit. Ainsi je retrouvai l’Amour, où je n’avais vu qu’une statue d’enfant ; des tableaux admirables, où je n’avais vu que des couleurs ; une architecture aussi riche par ses détails que somptueuse par son ensemble, où je n’avais distingué que des masses ; un tout étourdissant, où je n’avais remarqué que des parties étonnantes ; enfin des femmes ravissantes, une cour somptueuse, des souvenirs électriques et tous les degrés de la puissance, où je n’avais aperçu que plus ou moins de monde, des costumes plus ou moins riches et un maître qui n’était pas encore le mien : circonstances toutes faites pour exalter l’enthousiasme !

Cependant plusieurs choses me choquèrent. Frédéric était et ne pouvait manquer d’être mon point de comparaison, pour juger un roi, et je ne découvrais rien en Louis XVI qui pût l’élever au niveau de ce prince, qui par le titre de grand homme s’était placé au-dessus des rois. Je trouvais, d’ailleurs, que Louis XVI manquait de dignité. Passant un jour devant moi pour aller à la chasse, il s’arrêta pour rire