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à l’étalage d’une boutique roulante, un vase de toute intimité sans que personne y trouve à redire ou même à sourire ?


— Je voudrais savoir justement si Naples n’est pas menacée de perdre un peu de sa physionomie populaire et de sa liberté d’allures. Tant de simplicité, tant de naïveté lui viennent de ce que ses pêcheurs, ses marchands de frutti di mare et de melons, fabricans de pizza et de feux d’artifice, cuiseurs de marrons et autres artisans, habitent des quartiers défendus par leur extrême misère contre les réglementations détaillées, une sorte d’ombre qui conserve les couleurs. Les gens qui vivent entre eux, dans ces milieux homogènes, étant les plus nombreux, imposent forcément quelque chose de leur manière d’être à ceux que l’éducation leur rend très supérieurs. Or, les vieux quartiers disparaissent. D’immenses travaux sont en voie d’exécution. Les uns, bien utiles, sont destinés à compléter le système primitif des égouts de Naples et à conduire les eaux, à travers le Pausilippe, jusque dans le golfe de Gaëte ; les autres consistent à jeter des rues, des boulevards, à travers, ou plutôt par-dessus les quartiers comblés et ensevelis de la basse ville. C’est ce qu’en langage administratif on appelle le risanamento, et ce que le peuple nomme « lo sventramento di Napoli, l’éventrement de Naples. » Déjà le gouvernement et la municipalité ont dépensé, pour cela, 100 millions, par moitié. Depuis deux ans que je n’ai vu Naples, les progrès sont considérables. Les énormes avenues, qui partent à peu près du milieu de la colline, me semblent avoir tant allongé qu’elles seront bientôt rendues à la mer. Que pense-t-on d’elles, en bas ? que deviennent les gens dont elles écrasent la pauvre maison ? que reste-t-il des quartiers célèbres par leur misère, si bien décrits par Fucini dans ses Lettres ?

Pour le savoir, il faut pénétrer dans les cités mal famées, mal odorantes, mal aérées et malsaines du Porto. Mais il est difficile d’y aller seul. Si on ne court pas de danger sérieux, si on s’expose, tout au plus, à rentrer sans sa montre ou sans son portefeuille, on ne peut bien voir ces fondachi et ces ruelles qu’à la condition d’y être introduit et guidé par un familier, autant que possible par une persona grata.

Je m’adressai donc à l’un de mes amis napolitains, et je fus servi à souhait : — « Vous serez conduit, me dit-il, par un personnage ayant autorité dans ce royaume, où la police elle-même n’est pas maîtresse. » — En effet, à l’heure et au lieu convenus, près du Porto, je trouvai un homme de haute taille et de belle mine, coiffé d’un chapeau mou à larges bords : le cavalier Antonio d’Auria, conseiller provincial et président de la Société centrale ouvrière de Naples.