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C’est qu’à partir du moment où l’État moscovite devenait assez fort pour secouer le joug des Mongols, il l’était trop au gré des États limitrophes. S’il pouvait convenir à l’un d’eux de réclamer, dans quelque moment critique, un secours d’hommes ou d’argent, on se demanda bientôt s’il ne faudrait pas le payer trop cher et si l’allié de la veille n’allait pas se changer en maître. Cet Ivan III, qui n’avait pas voulu se laisser conférer un titre royal par le saint-empire sous prétexte qu’il était lui-même « institué par Dieu, » ne venait-il pas d’accueillir à sa cour non-seulement des hommes d’État, des diplomates, des ingénieurs, des artistes grecs, cortège de, l’impératrice Sophie Paléologue, mais encore des Italiens après les Grecs, l’architecte Pietro Antonio, le fondeur Bossio, l’ingénieur Aristote Fioraventi, devenu grand-maître de l’artillerie russe ? Vassili marcha sur ses traces : Moscou remplaçait Byzance ; Maxime le Grec, l’ami de Lascaris et d’Aide Manuce, devenait le favori du prince ; le tsar correspondait lui-même avec les papes Léon X et Clément VII, avec les empereurs Maximilien et Charles-Quint, avec les sultans Sélim et Soliman. Son successeur, Ivan IV, dit le Terrible, est possédé de toutes les ambitions ; l’image de Constantin hante ses rêves ; mais ce n’est pas d’un État purement oriental qu’il veut être empereur. Il a compris tout le parti qu’il pouvait tirer de la civilisation occidentale contre ses voisins de l’Occident ; il voudrait en finir avec la barbarie d’un seul coup, qui décuplerait sa force et mettrait l’Europe à ses pieds. Il appelle des ingénieurs allemands, mais les emploie à diriger les travaux du siège de Kazan ; il charge le prince Chastounof de bâtir une ville avec un port à l’embouchure de la Narova, mais afin d’établir par mer une communication libre avec la Germanie. Il veut d’abord et pardessus tout dégager la Russie du cercle dans lequel ses voisins d’Occident l’enferment, avec une circonspection que justifieront, d’ailleurs, les événemens. La Russie est alors enserrée et mise, pour ainsi dire, en état de blocus par la Pologne, la Suède, la Prusse et les chevaliers porte-glaives. C’est à qui fera la meilleure garde pour fermer la porte aux hommes, aux armes, aux sciences de l’Occident. Les villes hanséatiques s’appliquent particulièrement à maintenir l’État moscovite dans un état de sujétion commerciale et d’incapacité militaire. Déjà, même avant qu’Ivan III eût, en 1748, fermé la « cour hanséatique » à Novogorod, les Allemands vivaient dans cette grande ville sur le pied de guerre, « ne reconnaissant pas qu’il y eût entre eux et les Russes un seul intérêt commun[1]. » La Hanse arrêta donc au passage les ouvriers et les artistes qu’Ivan IV

  1. De Martens, ibidem, t. V, p. 2.