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dans sa dépêche du 24 novembre 1769 à lord Cathcart, ambassadeur à Pétersbourg, « que la Grande-Bretagne était naturellement attachée à la Russie » (qui pouvait l’ignorer ? ) par ses intérêts commerciaux et politiques, donnait clairement à entendre que, si le succès des armées moscovites « devait être nuisible à la Russie elle-même, ou à la tranquillité générale de l’Europe, en soulevant des inquiétudes, ou en excitant la malveillance des autres puissances, » la Grande-Bretagne devrait aviser. Elle avisait en effet, et Tchernychef avait informé son gouvernement que le ministre d’Angleterre à Constantinople devait suivre le grand-vizir à l’armée afin d’amener les Turcs à conclure la paix après leur première défaite. Catherine, de moins en moins satisfaite, écrivit de sa main sur cette dépêche, à l’adresse de Panine (3 mars 1769) : « Prenez garde que ces étourdis d’Anglais n’aillent vous croquer une prétendue paix à la première occasion, que vous serez obligé de désavouer ; le mieux serait de les prier de ne pas s’en mêler si chaudement ; amis et ennemis nous envient déjà les avantages qu’ils craignent que nous ayons et l’acquisition seule d’un pied sur la Mer-Noire est très capable d’exciter la jalousie des Anglais, qui pensent dans ce moment petitement, et qui sont toujours marchands. » Toutefois, quand une flotte partit de la Baltique sous les ordres d’Alexis Orlof pour faire le tour de l’Europe, entrer dans la Méditerranée, et porter la guerre sur les rivages de la Turquie, le cabinet de Saint-James sut contenir l’émotion du peuple anglais, et permit même aux vaisseaux russes de s’approvisionner dans ses ports. Aussi les négociations recommencèrent-elles jusqu’en 1774, quoiqu’avec une certaine mollesse, pour la conclusion de cette alliance politique, depuis si longtemps différée, et l’impératrice elle-même échangea-t-elle ses vues personnelles à ce sujet avec le ministre anglais accrédité près sa cour, mais sans rien presser. De son côté, le gouvernement britannique, que les conquêtes des Russes sur les bords de la Mer-Noire jetaient dans de mortelles alarmes, s’épuisait en efforts pour faire accepter cette médiation, dont on ne voulait pas entendre parler à Pétersbourg. La Russie finit par conclure à elle seule, en 1774, la glorieuse paix de Koutchouk-Kaïnardji.

C’est l’époque où les colonies anglaises de l’Amérique septentrionale se soulevaient contre la mère patrie. Il y a tout lieu de présumer, comme le remarque M. de Martens, que les hommes d’État anglais regrettèrent alors de n’avoir pas conclu plus tôt, même au prix de pénibles sacrifices, l’alliance plusieurs fois sollicitée par la Russie depuis l’avènement de Catherine. Mais, alors même qu’un traité d’alliance eût été signé, l’empire des tsars