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existence, le gouvernement, qui avait des affaires plus importantes sur les bras, ferma les yeux sur ces irrégularités. Mais lorsque quelques mois de durée lui eurent donné le sentiment de sa force, il voulut y mettre un terme, et le ministre des cultes du cabinet de 111. Laffitte adressa aux évêques une circulaire par laquelle il leur demandait de prescrire des prières pour le roi dans leurs diocèses. Mais en même temps, il leur enjoignait d’ajouter dans le verset du Domine salvum le nom même du roi Ludovicum Philippum, qui ne figurait jusque-là que dans l’antienne subséquente. Il n’en fallait pas davantage à Lacordaire pour écrire un virulent article où il dénonçait la circulaire du ministre des cultes « comme un monument déplorable où la liberté de conscience était violée avec une hardiesse vraiment trop pleine de mépris. » Après avoir expliqué que le verset est chanté par les chantres qui représentent le peuple et l’antienne par le prêtre seul, il voyait dans l’addition du nom du roi au verset une mesure qui, si elle n’était repoussée par une résistance invincible, pourrait coûter plus de sang à la France dans les révolutions futures qu’une ordonnance de persécution. « Maintenant, s’écriait-il, que la prière est un ordre intimé aux fidèles, qui subira ce joug humiliant ? Se trouvera-t-il même partout des chantres qui consentent à représenter la voix du peuple et à la faire monter malgré lui vers le ciel d’où elle est descendue libre et sacrée comme la voix de Dieu ? » On nous avait bien ordonné de prier jusqu’ici, mais on ne nous avait pas signifié la formule de la prière, et cassé d’un trait de plume nos usages les plus anciens. Que reste-t-il maintenant sinon de porter le rituel et le pontifical à M. le ministre, afin qu’il voie les changemens que commande d’y faire la civilisation ? Car s’il est dans son droit de régler la prière, nous ne voyons pas logiquement ce qui reste au pouvoir de nos évêques. Rien sans doute, rien que la liberté, la seule chose qui soit logique après qu’on a perdu tout ce qu’on tenait de Dieu. Nous la saluons de loin encore, heureux que les folies ministérielles hâtent tous les jours sa venue et que Dieu l’ait mise derrière les plus grands maux comme il a placé au fond du sépulcre l’éternelle vie. » Malgré cette véhémente protestation, le gouvernement tint bon, les évêques s’exécutèrent, et le nom de Louis-Philippe fut inséré dans le verset du Domine salvum, où il devait être remplacé par celui de Napoléon.

Si une circulaire inoffensive de M. Merilhou excitait à ce degré l’indignation de Lacordaire, c’était bien autre chose encore quand un acte maladroit de quelque fonctionnaire subalterne offrait aux catholiques l’occasion d’une légitime protestation. Dans la hâte et le trouble qui marquent le lendemain d’une révolution, le