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pressentir sa durée. L’épiscopat n’y tint plus. Un voyage du prince-président dans le midi de la France fut pour lui l’occasion d’afficher ses sentimens. Le devoir de leurs fonctions obligeait les évêques à présenter leur clergé au président, dans les villes où il s’arrêtait. Ce fut pour un grand nombre d’entre eux l’occasion de lui adresser des discours dont le ton rappelait ceux des évêques du premier empire. D’autres, qui n’avaient point l’occasion d’approcher le nouveau césar, s’en dédommageaient par l’ardeur de leurs mandemens. Un de ceux qui se distinguèrent dans cette émulation fut l’évêque d’Amiens, Mgr de Salinis. Ami de l’abbé Gerbet et de Lacordaire lui-même, ancien disciple de Lamennais, l’abbé de Salinis était un de ceux qui avaient suivi avec le plus d’ardeur, en 1848, le mouvement républicain et catholique. « Le peuple, écrivait-il, dans une lettre rendue publique, a eu le sens divin de l’alliance naturelle entre le catholicisme et la liberté. » Mais, promu à l’évêché d’Amiens, son langage se modifia, et il crut devoir écrire une lettre pastorale à l’occasion du rétablissement de l’empire. Il y développait cette théorie que, quand l’Église rencontre César, son devoir est d’aller à lui et de lui offrir non-seulement la paix, mais l’alliance. « Nous sommes donc résolus, continuait Mgr de Salinis, à prêter à l’empereur le plus loyal concours, et nous nous engageons à l’aider nous-mêmes à accomplir la mission providentielle qui lui a été confiée. » Lacordaire avait sans doute présent à l’esprit le souvenir de ce mandement, quand il écrivit à Mgr de Salinis une lettre qui a été retrouvée dans les papiers de celui-ci, et publiée par un biographe malavisé. Je regrette de ne pouvoir insérer ici tout entière cette lettre admirable de fierté, où il protestait contre le rôle que çertains catholiques voulaient faire jouer à l’Église. Je me bornerai à en rapporter les dernières lignes. « Pour moi, disait-il, ma consolation au milieu de si grandes misères morales est de vivre solitaire, occupé d’une œuvre que Dieu bénit, en protestant par mon silence et, de temps à autre, par mes paroles, contre la plus grande insolence qui se soit jamais autorisée du nom de Jésus-Christ. »

Le silence était en effet le seul moyen de protestation dont il lui fût alors possible de se servir. Essayer par quelque acte public d’arrêter le mouvement qui entraînait le clergé, et de l’éclairer sur les dangers d’une alliance dont il devait payer si cher l’impopularité, eût été une entreprise irréalisable. D’ailleurs, le mouvement était encouragé par Rome. Répondant le 1er janvier 1852 à un discours du général Gemeau, qui commandait l’armée d’occupation, le saint-père se félicitait d’être entouré de l’armée française, et il ajoutait ces paroles significatives : « Ce sentiment s’accroît