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passé et, de fait, il parvint à faire souscrire deux emprunts en 1871 et en 1875. Il comprit d’ailleurs que, pour maintenir son crédit et mériter les sacrifices qu’elle demandait au parlement, Florence ne devait pas hésiter à s’imposer les plus lourdes charges. Les taxes municipales furent accrues dans d’énormes proportions, et on a pu calculer qu’en 1878, vers la fin de la crise, les Florentins payaient 75 fr. 49 par tête, alors que les Milanais, qui passaient pour avoir à se plaindre, ne payaient que 57 fr. 41. Mais tout fut inutile. L’indemnité nationale avait été scandaleusement insuffisante, les emprunts contractés dans des conditions onéreuses ; l’émigration enleva à Florence plus de 50,000 habitans ; une ville sans commerce et sans industrie n’avait pas en elle-même l’élasticité nécessaire pour se relever. En 1878, la commune de Florence ne put plus faire face à ses engagemens, et l’administration que présidait Peruzzi dut se retirer après avoir vaillamment lutté jusqu’au bout. Il n’eût tenu qu’à lui, en acceptant un portefeuille, en 1876, de sortir à son honneur d’une situation devenue inextricable ; et en succombant à la tentation, il aurait pu s’excuser, à ses propres yeux, par l’espérance de rendre à sa ville natale, une fois au pouvoir, les services qu’il ne pouvait plus lui rendre comme syndic. Mais il n’avait pas voulu déserter le poste qu’il avait accepté.

C’était presque la ruine pour lui, car il avait placé une partie considérable de sa fortune en obligations de la ville de Florence. C’était aussi l’impopularité. Assurément la force des choses avait été la seule coupable ; mais il fallait un bouc émissaire pour toutes les victimes de la crise, les ouvriers sans travail, les porteurs d’obligations ruinés, les propriétaires qui ne louaient plus leurs maisons, les négocians dont les affaires ne marchaient plus, les pauvres diables qui passaient les nuits à faire queue devant les guichets de la Caisse d’épargne, pour être les premiers remboursés, — car le bruit avait couru que la Caisse d’épargne, créancière de la ville, allait être entraînée dans le désastre. Peruzzi revendiquait fièrement toutes les responsabilités ; on le prit au mot. Lui qu’on acclamait naguère et qu’on surnommait le Périclès de la moderne Athènes, il y eut des gens pour l’insulter. Ce fut l’épreuve la plus douloureuse de sa vie publique. Il faut dire, à l’honneur des Florentins, que cette épreuve fut courte. Son impopularité, d’ailleurs, ne fut jamais générale. Il en eut la preuve dès 1879. En dépit d’une circulaire très digne dans laquelle il donnait sa démission de député, en invitant ses électeurs à choisir un représentant plus heureux dans la défense de leurs intérêts, une forte majorité lui confirma le mandat qu’il avait eu sans interruption