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Lorsqu’une de ces expressions cesse de correspondre à la réalité, il faut que la dissolution ait lieu pour rétablir la constitution dans sa sincérité. Soit que le ministère ait perdu son unité, soit que l’harmonie ait cessé de régner entre le cabinet et la majorité dont il est l’organe, soit que la Chambre elle-même ait cessé de répondre au sentiment des électeurs, il faut en revenir au dernier juge, au seul maître, à la nation. Mais qui choisit l’heure ? Qui décide de l’opportunité de cette consultation nationale ? Qui met le ministère sur la sellette ? Qui l’envoie devant ses mandataires naturels ? C’est le ministère lui-même. En d’autres termes, c’est M. Gladstone qui ouvre la question de savoir si M. Gladstone garde, ou non, la confiance du pays. On se demande s’il n’y a pas un peu de ridicule et quelque danger dans cette situation, et si les États, où le droit de dissolution, placé entre les mains d’un roi ou d’un président de république (avec toutes les garanties constitutionnelles que l’on sait), n’est pas une simple forme, mais une puissance effective, ne sont pas plus près du parlementarisme juste et vrai que l’Angleterre d’aujourd’hui. Certes, j’admire le noble effacement de la reine, mais n’a-t-il pas contribué à développer jusqu’aux dernières limites cette omnipotence de la Chambre des communes qui touche aujourd’hui à l’absurde. Peu importe d’ailleurs quelle main signe l’ordonnance de dissolution. Il ne s’agit pas, on le comprend, d’un droit formel, mais d’une simple initiative. Il doit exister dans la machine politique, un rouage qui entre en jeu de lui-même, en certains cas, comme un « trop-plein » ou une soupape de sûreté. Il faut une sorte d’arbitre qui, sans se prononcer sur le fond des choses, rende nécessaire l’appel aux électeurs. Il faut que cet arbitre soit doué d’intelligence et d’indépendance ; je serais même presque tenté de dire que l’indépendance est ici encore plus indispensable que l’intelligence. Qui peut conférer à un homme ou à une assemblée ce caractère privilégié ? Le suffrage populaire ? Non. L’investiture gouverne mentale ? Encore, moins. L’inamovibilité ? Ce n’est pas assez. L’hérédité ? Oui, certainement.

L’hérédité est, à la fois, la force et la faiblesse de la Chambre des pairs. On peut se moquer d’un homme qui trouve un mandat législatif dans son berceau, mais on est contraint de reconnaître que cet homme-là ne sera jamais l’esclave de ses commettans ni de ses patrons.

M. Gladstone a eu la précaution d’affirmer son respect et sa sympathie envers les membres de la haute Chambre, considérés isolément ; c’est le principe seul qu’il condamne. Je me permets de risquer la proposition inverse. J’ai peur qu’il y ait, dans la Chambre des lords, bon nombre de ganaches et quelques