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d’Espagne que Junot devait voir au passage, montre quelle était son estime pour le nouvel ambassadeur : « On peut lui dire tout ce qu’on voudra : ce sera comme si on me l’eût dit à moi-même[1]. » Le chef du poste étant ainsi désigné, M. de Talleyrand s’occupa du choix du secrétaire qui devait l’accompagner, et il fut très bien inspiré en nommant M. de Rayneval, fils de l’ancien premier commis des affaires étrangères avant la Révolution. Ce jeune homme avait été attaché à Saint-Pétersbourg ; nourri dans les principes de dignité discrète qui sont l’honneur de la carrière, il avait déjà fait preuve des qualités éminentes qui étaient dès lors et sont demeurées héréditaires dans sa famille. Il justifia entièrement, en des circonstances difficiles, les sympathies de son gouvernement. Junot eut ce bonheur rare de trouver dans son secrétaire un collaborateur habile et loyal. Ajoutons que, plus tard et lorsqu’il fut chargé d’affaires, M. de Rayneval fut à la hauteur des événemens où il fut appelé à jouer un grand rôle. La duchesse d’Abrantès a fait de lui dans ses Mémoires le meilleur éloge : « La malveillance, dit-elle, qui toujours s’attaque à la vertu, n’ose pourtant parler devant lui. »

Le gouvernement impérial eut soin, pour préparer un bon terrain à son ambassadeur, de présenter sa nomination au cabinet de Lisbonne comme « une marque particulière de considération » pour le prince régent ; dans la lettre officielle qu’il adressa au représentant de Son Altesse à Paris, le comte de Lima, le ministre donna à la mission de Junot le caractère le plus pacifique : « Le général, dit-il, réussira par son zèle et son bon esprit à maintenir les rapports de bonne intelligence et d’amitié qui existent entre les deux États. » On sait que cette phraséologie n’était guère d’accord avec le véritable objet qu’on avait en vue et que cette bonne intelligence et cette amitié ne devaient subsister que sous condition résolutoire. Les instructions adressées à Junot par M. de Talleyrand au nom de l’empereur, le 27 pluviôse an XIII (16 février 1805), indiquaient en effet à quelles décisions étaient subordonnés nos sentimens affectueux pour le Portugal. Mais c’était à l’ambassadeur qu’était réservé le soin de faire connaître à M. d’Araujo et au prince régent la politique que Napoléon entendait leur imposer.


III

Pendant que Junot se préparait au départ, l’empereur conçut la pensée de profiter de son passage par Madrid pour le charger

  1. Correspondance de Napoléon, no 8335 et 8299).