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qui aient longtemps fait une aussi prodigieuse consommation de forces humaines, et, dans les contrées où l’esclavage existait, le prix d’un nègre de plantation de cannes était, de beaucoup, inférieur à celui d’un nègre employé à la culture du tabac, du café, ou du coton, l’acquéreur estimant de moindre durée la moyenne de vie du premier et sa vigueur physique de beaucoup intérieure.

Moins pénible, la culture du café est, dans des conditions plus modestes que celle du sucre, aussi lucrative, et l’expérience a prouvé qu’elle peut être entreprise par les blancs, sans le concours des nègres. L’ouvrier y travaille à l’ombre ; il en faut pour que les baies du caféier mûrissent lentement. La récolte commence en août pour ne finir qu’en décembre. Sur la plupart des plantations de Cuba, la cueillette se fait à la main ; les baies, séchées au soleil, sont ensuite transportées sous des hangars, nettoyées, puis triées et classées selon leur volume et leur qualité. Ces opérations s’exécutent à loisir ; pas n’est besoin de surmener la machine humaine et de lui demander des efforts excessifs.

À ce point de vue, la culture du café convenait donc mieux à une population créole et à laquelle les capitaux faisaient alors défaut. Les femmes et les enfans y prenaient une part active dans les limites de leurs forces ; elle n’excluait pas les cultures nécessaires à l’alimentation de la famille ; au contraire, elle s’en accommodait. surtout de celle des bananiers qui abrite du soleil brûlant la plante délicate et dont le produit donne l’appoint en numéraire, indispensable pour se procurer du dehors les articles fabriqués que ne fournissait pas un pays essentiellement agricole et dépourvu d’industrie, la race qui l’habitait répugnant d’instinct à tout travail sédentaire, œuvre servile selon elle. En tout temps, sous tous les climats, cette race s’y est montrée réfractaire et, pour triompher de ses préjugés, il n’a fallu rien moins que la rude loi de la nécessité. Partout où l’Espagnol domine, il s’adonne de préférence à l’élevage du bétail, à la culture du sol, abandonnant l’industrie aux colons étrangers, recourant à la main-d’œuvre des Indiens et des noirs pour l’exploitation des mines.

Il est resté longtemps, sauf de légères exceptions, ce qu’il était au début de ses découvertes et de ses conquêtes, alors qu’il ne demandait aux terres nouvelles dont il prenait possession que l’or et les pierres précieuses. En se fixant au sol, dépeuplé par ses rapines, force lui a bien été de renoncer à ses rêves irréalisables de fortune rapide, fruit d’exactions sanglantes, mais l’idée première a persisté, celle du conquistador, maître et souverain, fier de son origine castillane, ne voulant ni ne pouvant déchoir, estimant que l’or lui-même peut se payer trop cher, que tous les moyens sont légitimes pour en dépouiller par la force