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En 1266, le chapitre général ordonnait « au nom de l’obéissance, que toutes les légendes du bienheureux François écrites antérieurement seraient détruites, que même en dehors de l’Ordre, les frères travailleraient à les faire disparaître, attendu que celle que venait d’écrire le général renfermait exactement ce qui était approuvé. » Heureusement ce décret ne fut exécuté qu’à moitié ; les récits de Celano et des trois compagnons ne furent point détruits ; on se contenta de les reléguer dans la poussière des archives, d’où ils ne sortirent que cinq siècles plus tard.

Mais, avant même qu’on les en eût tirés, il y avait, dans la grande famille franciscaine, des mécontens qui goûtaient peu la compilation très étudiée de Bonaventure ; un instinct secret les avertissait qu’il n’appartient pas aux docteurs d’écrire l’histoire des fous, que, de propos délibéré, on avait pris à tâche de leur donner une idée fausse ou incomplète de leur maître, que ce n’était pas là le vrai Poverello. Faute de mieux, on fit appel aux traditions de l’Ordre, et au XIVe siècle parurent successivement les Fioretti, qu’on regarde avec raison comme une des productions les plus exquises de la littérature religieuse du moyen âge, et le fameux Livre d’or ou des Conformités de la vie de notre bien heureux et séraphique père François avec la vie de Jésus-Christ, notre Seigneur. Barthélémy de Pise, qui a composé le Livre d’or, se souciait un peu trop de démontrer une thèse, et l’auteur des Fioretti a fait œuvre de poète plus que d’historien. Mais il y a souvent un fond de vérité dans les légendes, et la tradition orale a son prix. Quel usage convient-il de faire de ces deux livres et d’autres encore composés dans le même temps ? Quel crédit est-il permis de leur accorder ? N’en tenir aucun compte, à l’exemple des Bollandistes, c’est renoncer à moissonner un champ parce que beaucoup d’ivraie s’y trouve mêlée au froment. Qu’y faut-il prendre et que faut-il laisser ? C’est une question embarrassante. En définitive, grâce aux documens retrouvés, les grands traits de la vie de François d’Assise sont à jamais fixés, et nous sommes certains de le voir à peu près tel qu’il était. Mais il reste des points douteux, des difficultés que, selon son humeur et sa doctrine, chaque historien résout à sa manière. Telle est la destinée des saints ; on leur donne, durant leur vie, beaucoup de tourment, et après leur mort on les tourmente encore : chacun les tire à soi.

M. l’abbé Le Monnier, curé de Saint-Ferdinand-des-Ternes, a publié, il y a près de trois ans, une Vie de François d’Assise qui a été remarquée et justement louée[1]. Écrit d’un style limpide, naturel et facile, ce livre est aussi agréable que solide, et la grâce de la légende n’y fait aucun tort à la gravité de l’histoire. Le grand mérite de l’auteur

  1. Histoire de Saint François d’Assise, par l’abbé Le Monnier. 2 vol. in-8o, Paris. 1890.