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assister à une conférence préliminaire pour laquelle se trouveraient réunis chez lui les ministres de Russie, d’Angleterre et de Prusse. Dans celle conférence ou lui donna connaissance des protocoles qui avaient été rédigés le 22, et on lui proposa, ainsi qu’à M. de Labrador, de signer une déclaration où se trouveraient sanctionnées les dispositions qui y étaient contenues. M. de Talleyrand n’eut pas de peine à reconnaître que ce projet avait pour but de rendre les quatre puissances alliées maîtresses absolues de toutes les opérations du congrès, puisque la France et l’Espagne, admises, pour la forme seulement, dans le comité des six qui devait tout régler préalablement, y seraient constamment en minorité de deux contre quatre. Soutenu par M. de Labrador, M. de Talleyrand déclina la proposition par des motifs fort habilement déduits ; s’éleva contre la qualification d’alliées que se donnaient toujours les quatre puissances, et soutint qu’elle était devenue tout à fait hors de propos depuis le traité de Paris. Si on voulait l’employer, il était impossible de ne pas la donner également aux huit puissances signataires de ce traité[1].

Quant à l’idée de tout régler en quelque sorte avant l’ouverture du congrès, elle lui paraissait tout à fait étrange. Pourquoi donc ne pas ouvrir le congrès sans plus tarder ? quelle difficulté y voyait-on ? M. de Talleyrand avait, dans l’intérêt de la France, tout à fait raison de hâter une réunion dans laquelle il était impossible, qu’il n’eût pas le moyen de se faire de nombreux amis, même de se créer un parti.

Il fut aisé toutefois de lui opposer d’assez fortes objections ; chacun mit la sienne en avant ; une entre autres était grave pour la France et pour l’Espagne. On ne pouvait pensera admettre qui que ce fût dans le congrès sans vérification de pouvoirs : était-on bien d’accord sur les bases de cette vérification relativement à certaines puissances, et ne pouvait-elle pas dès le début soulever des débats qu’il était bon d’éviter ou au moins de retarder ?

Le nom du roi de Naples ayant été prononcé, M. de Talleyrand demanda duquel on voulait parler. M. de Humboldt observa que plusieurs puissances avaient reconnu le roi Murat et lui avaient garanti ses États. Il répliqua que ceux qui lui avaient donné cette garantie ne devaient pas le faire, par conséquent ne le pouvaient pas faire. M. de Labrador s’exprima dans le même sens, sans nul ménagement. Ainsi commença le débat sur un des points que la maison de Bourbon tenait le plus à gagner. Tout le monde sentit que personne n’avait intérêt à le

  1. Ces puissances étaient : l’Autriche, l’Espagne, la France, l’Angleterre, le Portugal, la Prusse, la Russie, la Suède.