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avec la majesté du sujet. Même aujourd’hui, revêtez les auditeurs du Christ avec des costumes contemporains, mais magnifiques, et vous verrez que l’anachronisme ne déplaira plus tant. Il y a au Musée de Lyon un très beau Mai de Le Brun : c’est le Christ qui ressuscite, et au-dessous de lui, saint Louis qui lui présente humblement son successeur Louis XIV. Cela n’a point paru très extraordinaire aux beaux esprits de Versailles, et, encore de nos jours, nos yeux s’accoutument à ces vêtemens de cour, à ces pourpres et à ces hermines humiliées sous les pieds du Nazaréen, nu comme un esclave. C’est que leurs plis riches et noblement ordonnancés satisfont notre goût de la beauté. Concevrait-on la même scène jouée par deux chefs d’Etat contemporains, en habits noirs, dialoguant avec le Dieu qui sort de son tombeau ? Non, n’est-ce pas ! Et pourquoi tel homme d’Etat qui consacra sa vie à soutenir les doctrines évangéliques, ne ferait-il pas figure sur un tableau de sainteté aussi bien que Louis XIV ? Parce qu’il serait en habit noir, tout simplement. La contre-épreuve est facile à faire. Au lieu de choisir notre personnage contemporain parmi les hommes portant des vêtemens inesthétiques, prenons-le parmi ceux que revêt un costume pompeux et largement décoratif, comme celui des cardinaux, par exemple, la scène devient tout de suite plus acceptable. Ne peut-on pas supposer un artiste peignant pour la cathédrale de Carthage une fresque où l’on verrait le cardinal qui la fonda présentant ses Pères Blancs au Christ ressuscité ? Pour contemporains que seraient ces personnages, la scène deviendrait-elle déplaisante, ou choquante, en soi ? En aucune façon. Pourquoi ? Parce que ces personnages font profession de piété ? Sans doute, mais surtout parce qu’ils portent un costume esthétique. Parce qu’ils exaltent notre sentiment du Bien ? Assurément, mais encore plus parce qu’ils ne froissent pas notre sentiment du Beau.

« Il n’y a point de tableau de grand maître, a dit l’auteur des Salons, qu’on ne dégradât en habillant les personnages, en les coiffant à la française, quelque bien peint, quelque bien composé qu’il fût d’ailleurs. On dirait que de grands événemens, de grandes actions ne soient point faits pour un peuple aussi bizarrement vêtu ; et que les hommes dont l’habit est si guinguet ne puissent avoir de grands intérêts à démêler : il ne fait bien qu’aux marionnettes. » Ce que Diderot pensait du costume de son temps, sans doute plus frivole, mais plus varié d’ailleurs et plus coloré, nous le dirons du nôtre, cette enveloppe égalitaire qui unifie non seulement les conditions sociales, mais encore les charpentes humaines, recouvre toutes les difformités, masque toutes les malfaçons et loge dans le même paletot, non seulement le chef de l’Etat