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monnayées au moyen d’une barre d’or pesant 32 kilogrammes[1]. L’expression est donc équivalente : mais elle cesse de l’être si on veut l’appliquer à notre état présent, car cent mille francs en France, à l’heure actuelle, ne veut pas seulement dire 32 kilogrammes d’or ; cela veut dire aussi 500 kilogrammes d’argent. Or l’immense avantage de l’autre manière de compter, en un certain poids d’un certain métal précieux, serait précisément d’ouvrir les yeux de l’humanité sur l’impossibilité pratique du double étalon ; nous ne disons pas du bimétallisme ! Nous distinguons absolument ces deux états ! Sous le régime du double étalon (l’expression propre serait l’étalon alternatif), l’autorité souveraine a décrété qu’un gramme d’or équivaut à 15 grammes et demi d’argent dans l’Union latine, ou à 16 grammes d’argent (15,99) aux États-Unis, ou à 15 grammes 7/8 en Hollande. Le bimétallisme serait l’état dans lequel on se servirait des deux métaux, mais sans que le gouvernement prétendît leur imposer un rapport fixe. Pour en revenir à notre exemple, les esprits les plus simples ne pourraient-ils pas comprendre qu’un homme possesseur de 500 kilogrammes d’argent et qu’un autre possesseur de 32 kilogrammes d’or n’ont pas nécessairement la même fortune ?

L’idée du métal précieux comme représentant la richesse est difficile à analyser d’une façon complète : elle est encore plus difficile à justifier par le raisonnement. L’or ni l’argent ne nous rendent par eux-mêmes de services essentiels. Le fer, le plomb, le cuivre, nous sont infiniment plus utiles et même nécessaires. Il n’en est pas moins constant que l’humanité dans son ensemble a admis l’or et l’argent à la fonction monétaire. Une partie de la production annuelle de chacun de ces métaux est employée par l’industrie, ce qui, soit dit en passant, garantit l’argent tout aussi bien que l’or contre une dépréciation absolue. Le reste fait fonction de monnaie en vertu d’un accord tacite, mais à peu près universel ; nous en exceptons certaines peuplades sauvages, qui d’ailleurs, dès qu’elles sont en contact avec les nations plus avancées, ne tardent pas à se civiliser sous ce rapport plus vite que ; sous d’autres et s’empressent de rechercher les métaux précieux aussitôt qu’elles ont appris ce qu’ils peuvent leur procurer.

Il n’est pas aisé d’expliquer pourquoi l’or et l’argent remplissent cette fonction de préférence à tant d’autres substances. Certaines de leurs qualités : rareté, dureté, fusibilité, homogénéité, ductilité, éclat, sonorité, inoxydabilité, les y rendent aptes à coup sûr et les désignent d’une façon spéciale. Le prix du temps et de

  1. Nous négligeons les fractions.