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batterie lente des instrumens à vent en triolets, formule chère au maître disparu. Le reste n’est qu’à M. Chabrier, et ce reste a beaucoup de prix. La période chantante est d’un mouvement à la fois large et doux. Il faut louer la réunion des deux strophes poétiques en une strophe musicale coulée d’un seul jet, et la fusion pour ainsi dire d’une force double en force unique ; louer également, avec l’ampleur étalée de la phrase, certaines coupes rythmiques, par exemple, à la fin du troisième vers, les trois petits mots : dans la nue, rattachés au courant général et comme rattrapés par la voix avec une aisance charmante. Fuis la mélodie s’épanche avec plus d’abondance encore, avec une ampleur presque italienne, témoin la note arrondie et portée sur le mot vermeille. Enfin la conclusion en notes graves est délicieuse ; tout cela est élégant et mâle, tout cela est tendre, tout cela est noble, tout cela est beau.

Pour apprivoiser Harald, tout est bon à Gwendoline : son rouet, quelques fleurs cueillies et tressées en couronne légère. Elle chante, la blonde bouquetière ; la blonde fileuse chante également, et des deux chansons, ou des deux lieder, pour employer un mot aujourd’hui plus honorable, on ne sait lequel a le plus de grâce ; peut-être le second, parce qu’il a le plus de franchise et de simplicité : « File, file, la belle blonde, » dit en souriant Gwendoline. « File, file. » redit, lentement charmé, le barbare, s’essayant d’une main et d’un pied inhabile à faire tourner le rouet ; les deux voix s’unissent alors et se marient, comme on disait au bon vieux temps des romances. Les compagnons d’Harald. furtivement revenus, surprennent l’étrange attitude du guerrier et sa défaite ; ils s’en étonnent en chœur, et jamais dans un drame lyrique de Wagner le rideau ne se ferma sur un chœur semblable, sur un tel refrain ni sur un pareil tableau.

Qu’aurait-il dit encore, Wagner, j’entends le Wagner authentique, celui d’après Lohengrin, qu’aurait-il dit de l’épithalame, de cette halte musicale, de cet arrêt, en quelque sorte, dans la circulation dramatique de l’œuvre ! Que les disciples de Wagner y applaudissent, fort bien ; mais du moins que ce ne soit pas au nom de leur maître. Voilà le plus beau, peut-être le seul morceau d’architecture musicale que renferme la partition de M. Chabrier, et nous ajouterons, au risque de nous faire honnir, que c’est un morceau d’architecture italienne. Ne vous récriez pas ; écoutez plutôt. La situation est celle-ci : Gwendoline et son époux Harald sont introduits dans la chambre nuptiale ; le père de la jeune fille, Armel, et le peuple les accompagnent. Alors commence, — et le fait seul de commencer nettement, en un point précis, sans attache avec ce qui précède, a déjà quelque chose de classique et de latin, — alors commence, avec une solennité douce, un chœur de félicitations, de vœux et d’affectueux hommages. Partagé d’abord entre deux groupes alternés de voix, il se déroule ; ample en est la mélodie ; et les harmonies en sont pleines. La phrase une fois développée jusqu’au bout,