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est morte à Florence en 1879. Elle avait demandé par testament à être enterrée près de sa fille Allegra, morte soixante ans avant elle ; mais ce vœu suprême n’a pu être satisfait. Et maintenant durant vingt ans encore elle va rester pour les biographes de Byron et de Shelley une inquiétante énigme. Seul M. Graham connaîtra le secret de ses fautes et de ses malheurs. Pourvu que la malicieuse vieille dame, avec ses sourires, ne se soit pas amusée à le mystifier !


II

Dans la Fortnightly Review de décembre, M. A. Forbes Sieveking publie quatre lettres inédites de John Keats, le contemporain de Shelley et de Byron, mort, comme l’on sait, à vingt-cinq ans, en 1820. Keats lui aussi était un grand poète : il n’avait point l’élan passionné de Byron ni l’intelligence philosophique de Shelley, mais personne n’a écrit d’aussi beaux vers, joignant une forme aussi pure à des émotions aussi délicates. Avec Wordsworth, il est le préféré de ceux qui mettent au-dessus des plus fortes pensées la tendresse, la douceur et la simplicité. Beaucoup de ses compatriotes lui reprochent d’avoir été un cockney, entendant par là qu’il était né de petite race, et n’avait point les manières ni la tenue d’un gentleman ; mais sa naissance ni ses manières ne l’ont empêché d’exprimer dans ses vers toute sorte de nuances de sentimens élégantes et discrètes ; et ce que l’on sait de sa vie n’est point non plus le fait d’une âme vulgaire. Orphelin de très bonne heure, Keats s’était passionnément attaché à ses frères ; jusqu’à la fin il n’a pas eu d’autre souci que celui de leur bonheur. La mort de son frère Thomas, en 1818, le plongea dans un désespoir si profond que l’on craignit pour sa raison. Et voici la lettre qu’il écrivait, cinq mois après, à une dame de ses amies :

« Chère madame, je me suis occupé, il y a un ou deux jours, à brûler toutes mes lettres et tous mes vieux papiers : tout cela n’a plus désormais aucun intérêt pour moi. J’ai fait cependant, comme le barbier inquisiteur de don Quichotte, quelques exceptions ; j’ai conservé vos lettres et celles de votre sœur. Je vous assure que je ne vous ai pas oubliée ; mais j’ai été si loin de toutes choses qu’il m’a fallu la vue de vos lettres pour vous ramener bien réelles dans mon esprit. Pourquoi ne vous ai-je pas répondu plus tôt ? C’est que je n’avais à vous donner aucune bonne nouvelle de nous : hélas, je ne puis plus dire de nous, et pourtant je ne saurais dire autrement ! Mon frère George est en Amérique et mon autre frère… je n’en ai plus d’autre. Je n’ai pu me résigner à vous apprendre cela. Et maintenant encore je ne m’y résignerais pas, si je n’avais une faveur à vous demander. Je voudrais que vous vous informiez s’il n’y a pas à louer aux environs de Teignmouth un petit