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réservant de choisir son moment avant d’entrer en action ». Il écrivit en effet au prince d’Orange et il lui ouvrit son cœur ; il entra en négociations avec l’empereur en attendant de faire son accession à la ligue d’Augsbourg. Informé de ces menées, le roi de France demanda des sûretés ; il obtint l’entrée de ses troupes en Piémont. Ce gage ne lui paraissant plus suffisant, il exigea, plus tard, la remise de la citadelle de Turin. Victor-Amédée sut retarder cette concession à l’aide de négociations dilatoires, et en écrivant au roi une lettre autographe par laquelle il s’abandonnait tout à fait entre ses mains, l’engageant à lui remettre la citadelle demandée. Mais quand il eut mis la place en état de défense, il l’ouvrit aux Espagnols venus de Milan où il avait signé la veille, avec l’empereur et l’Espagne, un traité d’alliance offensive et défensive, accomplissant ainsi ses premiers desseins et son évolution. Mais tel était, ce prince, « si plein de finesse, de dissimulation et d’artifice[1] », qu’étant à peine entré dans la coalition, il se ménageait déjà les moyens d’en sortir. Il en sortit en effet, après de longs pourparlers et en signant avec la France de nouveaux traités qui firent de lui, naguère le généralissime des troupes de la ligue en Italie, le généralissime des troupes franco-piémontaises. Ses premiers alliés lui avaient promis la Provence et le Dauphiné ; il jugea prudent, en se réconciliant avec Louis XIV, de se contenter de la restitution de Pignerol, de quelques territoires dans le Milanais et du titre de roi, des honneurs des têtes couronnées, comme on disait alors[2].

Nous ne continuerons pas cette page d’histoire, si instructive qu’elle soit, et bien qu’elle soit illustrée, à une date postérieure, des mêmes menées et des mêmes artifices. Nous nous y sommes arrêté un moment, estimant que le passé sert toujours à éclairer le présent. Nous n’avons entendu faire toutefois qu’un rapprochement entre des circonstances et des faits qui ne sont pas sans analogie, bien qu’ils diffèrent par les temps et les situations. A notre sens ils diffèrent surtout par les intérêts. Victor-Amédée redoutait, non sans raison, l’ambition de Louis XIV. Par la possession de Pignerol, la France avait déjà un pied en Italie, et le roi, victorieux de la ligue, pouvait mettre en avant d’autres prétentions. Quels dangers menaçaient l’Italie en 1882, et que pouvait-elle craindre de la France vaincue et mutilée ? La France à cette date, au moment où la péninsule s’associait aux deux empires, se relevait à peine de l’écrasante situation où l’avait mise une guerre malheureuse ; elle avait un besoin absolu de paix pour

  1. Lettre de Catinat à Louvois.
  2. Nous avons tiré ce rapide résumé de l’Histoire de Louvois, par Camille Roussel. Voir les chapitres XI et suivans.