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un chat-tigre aux yeux flamboyans, sur une carcasse de cheval. Ceux-ci sont des damnés transformés en bêtes. Enfer sur enfer, où les coupables sont torturés par des agens plus coupables encore ; où les ministres de la justice dépravent les damnés en les torturant.

Au centre de ces horreurs, une femme énorme, qui est visiblement la caricature d’Hélène Fourment, subit, suspendue, un supplice atroce.

On ne peut s’y tromper, lorsqu’on a sous les yeux la suite des portraits authentiques d’Hélène :

1o Belle, jeune, grasse, sans pensée ; 2o riche et magnifique, jouissant de l’opulence de son mari ; 3o coquette, agaçante, sous un chapeau noir ; 4o après dix ans de mariage, mère, l’air fin et doux, déjà une femme de Van Dyck (328, cabinet XII). Était-elle ainsi, ou bien a-t-il voulu lui plaire, la flatter en l’ennoblissant, l’affinant ?…

Quoi qu’il en soit, nul doute que celle-ci n’ait bien tourmenté Rubens.

N’est-ce pas à elle que le Christ pardonne, comme Milton à sa femme, sous le nom d’Adam, dans le Paradis perdu ? La Madeleine, dans ce beau tableau où elle est réunie à trois grands pécheurs, saint Pierre, David et le bon larron, n’a pas les traits d’Hélène, non plus que Dalila, c’eût été trop révéler, mais elle a sa chevelure, sa carnation… Le Christ est d’un bon sens sublime, admirablement simple et judicieux, selon les idées modernes. Il semble dire : « Insensés, était-ce la peine ? Vous n’avez pas même eu le bonheur d’un moment dans votre péché. »

Vous la retrouverez encore à notre musée du Louvre, cette Hélène. L’ange d’Elie en est une traduction masculine et colos sale. Ici, bienfaisante, elle donne au solitaire desséché par la chaleur du jour, par le travail et la lutte, le pain, le vin de la vie.

Moins vieux que cet Elie, mais bien fatigué, bien jaune et souffrant, est l’homme qui dans le grand Jugement dernier de Munich (263) se trouve tout au bas, un pied dans la terre… Ah ! qu’il a du chemin à faire pour arriver en haut dans la gloire, où l’homme sera l’homme-Dieu !

Au-dessus, vous voyez accroupie, la jeune rose rouge, Hélène, si vivante et si bien portante, près de cet homme si malade ! « Telle vous êtes, Madame, et tel je suis ; au moins un peu de compassion ! »

La jeune femme devait aussi moins apprécier l’artiste, à mesure que s’accentuait, avec Van Dyck, le mouvement de la grâce après celui de la force. C’est peut-être pour lui montrer que la