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admirablement l’apothéose. Rude et sombre aussi fut la route des héros pour arriver à la gloire.

Mais si le lieu est bien choisi, l’édifice a été mal conçu, mal exécuté.

Il eût fallu, ici, quelque chose de simple, de grand, de fruste ; des assises de granit, un portique sauvage qui laissât douter si la montagne ne faisait pas partie du monument. Au fond, j’aurais mis l’Allemagne elle-même, sous les traits de la Vierge, entourée d’animaux, de fleurs, l’enfant dans les bras, Touchante trinité : l’enfant, la femme, la rose, c’est-à-dire la nature. Tout cela n’est pas si exclusivement chrétien qu’Hermann lui-même et tous les héros païens de l’Allemagne ne fussent tombés à genoux.

On n’a tenu compte ni du paysage, ni du génie allemand, qui est juste le contraire de l’esprit gréco-romain. Il n’est pas non plus Scandinave. Ni le nom de Walhalla, ni l’imitation du Parthénon ne convenaient ici.

Il eût fallu encore, qu’au-dessus du portique, les arbres venus d’eux-mêmes étendissent leurs branches et pleurassent… que toute la nature semblât compatir,… qu’elle accueillît maternellement ceux qui, après la rude journée de la vie héroïque, viendraient chercher dans ce grand asile, non la gloire, mais le repos, le souvenir, la reconnaissance des peuples qu’ils ont servis. Ce n’est point cet éclat olympique qu’ils veulent, ni ce temple éblouissant dans le soleil du midi, mais plutôt, fatigués qu’ils sont, une source et de fraîches ombres.


VIII. — L’ALLEMAGNE DU CENTRE. — MELANCHOLIA. — NUREMBERG. — L’OUVRIER ALLEMAND.

14 juillet, jeudi. — De cinq heures du matin à quatre heures du soir, de Ratisbonne à Neumarkt, monté, descendu, tourné sur soi. Ainsi j’ai appris le pays d’Albert Dürer, l’ennui de l’Allemagne centrale, sa gravité monotone.

Il faut goûter, user cet ennui, pour bien savoir comment l’âme allemande, se tournant sur soi, se cherchant soi-même, atteignit dans ce grand artiste, dans tant d’autres génies, ce caractère austère, un peu sec et dur, mais parfois sublime de mélancolie passionnée… Les grandes ailes de la Chauve-Souris sont partout ouvertes ; partout vous lirez sur ces rochers, sous ses sapins où elle vole dans un crépuscule éternel : Melancholia

Disons, pour être juste, que la terre allemande, médiocre à la surface, est riche en vertus cachées, si l’on en juge par les eaux thermales qui jaillissent en tant d’endroits de son territoire, et