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responsabilités ; et l’on proposait de modifier un tel état de choses pour substituer une occupation coûteuse, une prise de possession inique, une politique d’aventures à celle que l’expérience consacrait et que le succès justifiait.

Puis, à l’examen, les difficultés surgissaient à chaque pas : difficultés pratiques, complications de politique intérieure et de politique extérieure. Comment justifier cette annexion ? Par le vote de la population ? Il n’y fallait pas songer : on aurait trente non pour un oui. Ecarterait-on le vote des indigènes et n’admettrait-on que celui des blancs ? Que vaudrait ce scrutin ? qui y présiderait et en accepterait la responsabilité ? Puis, l’annexion faite, quelle organisation intérieure prévaudrait ? On suggérait de faire de l’archipel une annexe territoriale de la Californie ; mais l’application des lois de la Californie, aussi bien d’ailleurs que des lois fédérales, y était impossible sous peine de ruiner ces mêmes planteurs qui demandaient l’admission dans l’Union. La prospérité des îles était due aux plantations et celle des plantations a la main-d’œuvre asiatique. Sans les 30 000 coolies chinois et japonais importés en vertu des labor contracts, des contrats de louage, qui les liaient pour trois ans au prix de 65 et 70 francs par mois, les champs de canne à sucre et de riz resteraient en friche : or les lois fondamentales de l’Union non seulement ne reconnaissent pas, mais interdisent les labor contracts, qu’elles tiennent pour une forme déguisée du servage, et ce n’était pas avec des ouvriers blancs payés de 15 à 25 francs par jour que l’on pourrait conduire une plantation.

A défaut des ouvriers asiatiques, disait-on, on transporterait aux îles des noirs du Sud. Mais ils sont libres et citoyens, et on ne les déciderait à émigrer que par l’appât du gain ; puis, pour qui connaît l’antipathie des Kanaques pour les nègres, une pareille mesure n’aurait d’autre résultat que de provoquer à bref délai une guerre de race. Modifierait-on, pour ces îles, les lois fondamentales de l’Union ? Mais qui ne voyait où pouvait conduire un pareil régime d’exception et à quelles inconséquences il entraînait ? Pourrait-on refuser aux planteurs des États du Sud ce que l’on accorderait à ceux de Havaï, et les contraindrait-on à lutter contre les nouveaux venus qui, dans des conditions plus favorables de climat et de sol, produiraient les mêmes articles de première nécessité, déliant toute concurrence grâce à l’importation des Chinois interdite sur le continent ?

Quant à constituer l’archipel en État fédéral faisant partie de l’Union et, à ce titre, ayant les mêmes droits et les mêmes privilèges que l’Illinois, la Californie ou l’Ohio, on n’y pouvait songer : ni le chiffre des électeurs ne justifiait cette admission, ni le Sénat