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Chambres anglaises, a pour objet de conférer aux filles majeures orphelines et aux femmes veuves, non plus l’électoral seulement, mais l’éligibilité aux conseils de comté.

On se rappelle qu’il y a cinq ans trois femmes furent élues dans diverses circonscriptions de Londres : miss Cons, lady Sandhurst et miss Cobden, la fille du célèbre homme d’État. Elles siégèrent très honorablement à côté d’hommes tels que lord Roseberry, sir John Lubbock et le comte de Meath ; elles prirent même dans le conseil une situation éminente et firent partie de nombreuses commissions, jusqu’au jour où les tribunaux, sur la plainte de leurs concurrens évincés, les forcèrent à se démettre. La Chambre des communes, au mois de novembre dernier, vient de nouveau d’accorder aux femmes le droit de voter dans les questions d’intérêt local.

Il est certain que, sur ce terrain du mouvement féministe, nous ne marchons plus en France du même pas que les autres nations. Est-ce un vestige de la loi salique, qui nous fit jadis interdire le trône aux femmes, tandis qu’elles étaient admises à régner chez tous les peuples de la chrétienté ? Demeureront-elles encore écartées de la souveraineté, maintenant que le pouvoir suprême réside dans le suffrage universel ? Dira-t-on que les femmes déserteraient leurs foyers, parce qu’elles iraient, tous les deux ou trois ans, déposer un bulletin dans une urne ? Nous ne demanderions pas du reste que l’on adoptât d’emblée, dans notre vieux pays, le système de la Nouvelle-Zélande où le Parlement a voté, il y a quelques mois, avec l’approbation du gouverneur, lord Glascow, l’affranchissement complet des femmes, les rendant à la fois électeurs et éligibles.

Mais il est clair que le mouvement démocratique, d’une part, qui nous fait priser très vivement l’égalité des êtres humains, et, d’autre part, les efforts couronnés de succès que l’État lui-même a déployés en vue des progrès de l’instruction féminine, doivent nous conduire, dans un délai plus ou moins éloigné, au développement des droits d’un sexe qui n’est faible que pour soulever des poids de cent kilos, faiblesse qu’il partage du reste avec beaucoup d’hommes.

Il va par exemple devenir singulier, maintenant que les femmes sont électeurs aux tribunaux de commerce, qu’elles ne le soient pas au conseil des prud’hommes, et même qu’elles n’y soient pas éligibles, si l’on songe ; comme l’a fait très bien remarquer Mme Vincent, déléguée au récent congrès de l’industrie textile qui s’est tenu à Roubaix, que sur une moyenne de 4 000 affaires environ, jugées annuellement par le conseil des tissus, près de la moitié (47 pour 100) intéressent exclusivement les femmes couturières, brodeuses, modistes, etc.

Il paraît vraiment oiseux de se demander, comme M. le professeur Lombroso, pour savoir si les femmes jouiront ou non de certains droits, si « le cerveau féminin est capable ou non de synthèse ».