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plus puissantes émotions théâtrales ont jamais été ressenties. Les plus antiques mystères, si frustes qu’on les suppose, furent assurément beaux ; mais ils ont disparu sans retour, et nous ne possédons, pour juger du genre, que les pièces, trop souvent grotesques, du XVe siècle. Ce n’est pas que nous reprochions aux poètes leur technique rudimentaire, leur soumission naïve à leurs sujets pieux, leur manque d’initiative créatrice. Au contraire, ce qui pouvait faire la grandeur de ces drames, c’était une paraphrase très sincère des textes bibliques, la simplicité grave et digne des humbles qui jouaient Jésus ou Marie, le don de représenter vivement et familièrement les scènes sacrées, de faire parler, pour un peuple de vilains, un Christ populaire. C’est cette simplicité et cette sincérité même que nous admirons dans les beaux Noëls des paysans. Par malheur, les mystères du XVe siècle, — les seuls conservés. — ne sont pas des œuvres populaires et ne sont pas non plus des œuvres d’art. Ils furent, pour la plupart, composés en de petites villes, à l’occasion de fêtes régionales, pour quelque confrérie de bourgeois ; ils sont l’œuvre de demi-lettrés, grands poètes de bourgade, chanoines, basochiens ou boutiquiers, capables de rimer, vaille que vaille, de plats octosyllabes : de là, cette vulgarité, cet abus du comique, ce travestissement ridicule — et parfois involontaire — des personnages divins. Une ces représentations burlesques aient suffi à l’édification, et surtout à l’ébaudissement, d’un public de pauvres d’esprit, étonnamment grossiers, soit ; mais, le plus souvent, l’histoire littéraire n’a point à en connaître.

En considérant les mystères et les miracles, nous avons quitté le XIIIe siècle et pénétré dans l’âge suivant ; pour la période qui s’ouvre à l’avènement des Valois, l’œuvre de la Société est aussi considérable et plus méritoire encore. Les deux derniers siècles du moyen âge, comme ils sont les plus douloureux de notre vie nationale, sont aussi les plus tristes de notre histoire littéraire ; la langue même traverse alors une crise vraiment pathologique. C’est, en poésie, le règne de l’allégorisme : le Roman de la Rose prolonge à l’infini sa détestable influence. Comparez ces deux poèmes, publiés par la Société : le Dit de la Panthère et l’Amant rendu cordelier à l’observance d’Amour. L’un date des premières années du XIVe siècle, l’autre de l’extrême fin du XVe : ne les croirait-on pas tous deux du même auteur ? Elle foisonne, elle pullule, la postérité de Nature et de Génius. C’est toujours le même songe allégorique, qui, pendant deux siècles, ne cesse de ravir des centaines de poètes vers des temples d’amour ou des vergers d’amour, où ils engagent avec Dangier, Male-Bouche, Faux-Semblant, Faux-Rapport, des dialogues subtilement puérils. A vrai dire, nous jugeons peut-être mal de cette période qui reste la