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dit combien il est douteux qu’une caste de Kshatriyas et de Vaïçyas ait jamais réellement existé. On sent de reste combien des catégories si vastes sont peu compatibles avec les règles mêmes, avec cet exclusivisme jaloux, cette organisation corporative et autonome qui caractérisent la caste vivante.

Les millions d’hommes qui dans l’Inde revendiquent le titre de brahmanes, et sont, en un sens, unifiés parce nom, sont en réalité partagés en une foule de sections parfaitement distinctes, dont chacune possède les caractères et les organes qui définissent la caste. Nous parlons couramment de la caste brahmanique ; c’est les castes brahmaniques qu’il faudrait dire. Nous enveloppons dans un seul terme générique des castes multiples qui ont chacune leur individualité. Les aveux de Manou à propos des brahmanes dégradés prouvent qu’il faisait exactement de même. Alors comme aujourd’hui, le nom de brahmanes ne les embrassait que comme un titre honorifique commun. Le Mahâbhârata déclare quelque part que le fils d’un brahmane est brahmane, de quelque origine que puisse être sa mère. La contradiction avec les règles de Manon n’est pas nécessairement si irréductible qu’elle semble d’abord. Quoi que prétende la théorie, on peut rester brahmane tout en changeant de caste.

Regardons autour de nous. Les Râjpouts d’aujourd’hui, les clans militaires de l’Inde occidentale, ont la prétention de correspondre, — ils correspondent par le rang et la profession, — aux Kshatriyas du système. Est-ce à dire qu’ils ne forment qu’une seule caste, ou qu’ils ne soient que le morcellement progressif d’une caste unique ? Nous avons constaté au contraire que, jusque sous nos yeux, des castes qui n’y ont aucun titre s’arrogent tel nom qui représente pour elles un avantage social. Pourquoi le cas serait-il nouveau ?

Nous touchons ici du doigt la situation vraie : les noms de Brâhmanes, de Kshatriyas. de Vaïçyas, de Çoûdras, représentent, non pas quatre « castes » primitives, mais quatre « classes ». Ces classes peuvent être fort anciennes. C’est seulement par la suite qu’elles ont été superposées aux castes. Différentes de nature et d’origine, les vraies castes ou les organismes dont elles sont issues étaient, dès le début, bien plus fractionnées et bien plus nombreuses. Seule, cette explication rend compte de la discordance qui éclate entre la théorie et les faits.

C’est ici que la comparaison des textes iraniens prend tout son prix. Entre les quatre pishtras iraniens et les quatre varnas hindous, la symétrie est tout à fait significative : les Athravas ou prêtres correspondant aux Brâhmanes, les Rathaesthas ou