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bats, les fuites, la fortune hasardeuse, la vie errante et libre. Elle l’a fait dans une langue nette, concise et mâle. Elle ne parle d’elle-même au féminin que très rarement, dans les cas désespérés, aux minutes de suprême détresse, alors qu’elle sent la Mort et qu’elle a peur de l’Enfer. Ce récit naïf et brutal reflète rapidement son âme et sa vie. Elles furent d’un homme d’action.



I



Moi doña Catalina de Erauso, je suis née en la ville de San Sebastian de Guipuzcoa, l’an mil cinq cent quatre-vingt-cinq, fille du capitaine don Miguel de Erauso et de doña Maria Perez de Galarraga y Arce, natifs et bourgeois de ladite ville. Mes parens me nourrirent dans leur maison avec mes autres frères jusqu’à l’âge de quatre ans. En mil cinq cent quatre-vingt-neuf, ils me firent entrer au couvent de San Sebastian el Antiguo, lequel est de nonnes dominicaines. Ma tante doña Ursula de Unza y Sarasti, cousine germaine de ma mère, en était prieure. J’y fus tenue jusques à l’âge de quinze ans, et il fut alors traité de ma profession. J’étais presque au bout de mon année de noviciat, lorsque je me pris de querelle avec une nonne professe nommée doña Catalina de Aliri, laquelle, étant veuve, était entrée au couvent et y avait fait profession. Elle était robuste et moi fillette ; elle me rudoya manuellement et je le ressentis.

La nuit du dix-huit mars de l’an mil six cent, vigile de Saint-Joseph, la communauté se levant à minuit pour chanter matines, j’entrai dans le chœur et y trouvai ma tante agenouillée. Elle m’appela et, me baillant la clef de sa cellule, m’ordonna de lui aller quérir son bréviaire. J’y allai, j’ouvris, le pris et vis, pendues à un clou, les clefs du couvent. Je laissai la cellule ouverte et rapportai à ma tante sa clef et son bréviaire. Les nonnes étaient au chœur et les matines solennellement commencées. À la première leçon, je m’approchai de ma tante et lui demandai congé, sous prétexte que j’étais malade. Ma tante, me mettant la main sur la tête, me dit : — Va, couche-toi. — Je quittai le chœur, allumai une chandelle, retournai à la cellule et, y ayant pris, outre les clefs du couvent, des ciseaux, du fil, une aiguille et quelques réaux de huit qui traînaient par là, je sortis, ouvrant et refermant les portes. À la dernière, qui était celle de dehors, j’ôtai mon scapulaire et me lançai dans la rue, sans l’avoir jamais vue ni savoir de quel côté tirer ni où aller. Je pris à l’aventure et m’en vins donner en une châtaigneraie qui est hors la ville, derrière et tout contre le couvent. Je m’y cachai et y demeurai trois jours, m’ac-