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fit cas et poursuivit. On commença de serrer les vis. Je demeurai ferme comme un chêne. L’interrogatoire et les tours de vis continuaient, lorsqu’on lui fit tenir un papier, à ce que je sus depuis, de doña Catalina de Chaves. On le lui mit dans la main, il l’ouvrit, lut, demeura un moment, immobile, à me regarder et dit : — Qu’on ôte ce garçon de là. — On me retira du chevalet, on me réintégra dans ma prison ; et il s’en retourna chez lui.

Le procès se suivit, je ne saurais dire comme, tant et si bien que j’en sortis condamné à dix ans de Chili sans solde, et le barbier à deux cents coups de fouet et six ans de galères. Nous en appelâmes, à grand renfort de sollicitations de compatriotes. L’affaire suivit son cours, je ne sais trop comment. Bref, un beau jour, sentence fut rendue en la royale Audience, par laquelle j’étais acquitté et madame doña Francisca condamnée aux dépens. Le barbier s’en tira aussi. De tels miracles sont fréquens en semblables conlïits, surtout aux Indes, grâce à la belle industrie.



XI



Quitte de cette angoisse, je ne pus faire moins que de m’absenter de la Plata. Je passai à las Charcas, à seize lieues de là. J’y retrouvai le déjà nommé don Juan Lopez de Arquijo, qui me confia dix mille têtes de moutons du pays avec cent et quelques Indiens et me remit une grosse somme de deniers pour aller, aux plaines de Cochabamba, acheter du blé et, après l’avoir fait moudre, le vendre au Potosi où il y avait disette. J’y fus, achetai huit mille fanègues à quatre pesos, les chargeai sur les moutons, me rendis aux moulins de Guilcomayo, en fis moudre trois mille cinq cents et, les ayant portées au Potosi, les vendis de prime abord aux boulangers du lieu à quinze pesos et demi. Puis je retournai aux moulins, où je trouvai partie du reste moulu et des acheteurs auxquels je vendis le tout à dix pesos. Après quoi, je revins à las Charcas, avec l’argent comptant, vers mon maître, qui, vu le bon profit, me renvoya à Cochabamba.

Entre temps, un dimanche, à las Charcas, n’ayant que faire, j’entrai jouer chez don Antonio Calderon, neveu de l’évêque. Il y avait là le proviseur, l’archidiacre et un marchand de Séville marié dans le pays. Je m’assis au jeu avec le marchand. La partie s’engagea. Sur un coup, le marchand, déjà piqué, dit : — Je fais. — Combien faites-vous ? — Je fais, redit-il. — Combien faites-vous ? répétai-je. Il frappa sur la table avec un doublon, en criant : — Je fais une corne ! — Je tiens, répliquai-je, et je double pour celle qui vous reste. — Il jeta les cartes et tira sa dague. Moi,