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UN REGARD EN ARRIÈRE

LES TERRORISTES RUSSES

Les violences anarchistes de l’heure présente me reportent à douze ou quinze ans en arrière. Ceux qui ont vécu à Saint-Pétersbourg entre 1878 et 1882 doivent ressentir de même l’impression d’une vieille pièce très connue reprise sur un autre théâtre. Tout ce que l’on observe aujourd’hui dans les mouvemens de l’esprit public à Paris, appréhensions, obsession, affolement, sensibilité vaguement complice chez les uns, colère exaspérée chez les autres, je l’ai observé dans la société pétersbourgeoise à la fin du règne d’Alexandre II ; et la conversation parisienne reproduit avec la fidélité d’un phonographe les propos qui s’échangeaient alors dans les entretiens russes, interrogations effrayées ou gouailleuses sur la bombe du jour, prédictions sinistres ou plaisanteries sceptiques, dissertations sur les causes et les remèdes du mal.

Y aurait-il donc moins de différences qu’on ne le croit généralement entre les actes, les hommes, les circonstances qui ont produit là-bas et qui produisent ici des effets d’opinion si semblables ?

Pour poser devant le lecteur cette question, car ce n’est point mon dessein de la trancher, je vais transcrire quelques notes prises il y a quinze ans, au sortir des audiences où se déroulaient les grands procès nihilistes. L’Europe occidentale connut très peu et très mal le détail de ces tragiques affaires ; à peine s’il en transpira quelques révélations dans nos journaux. La presse russe était muette par ordre. Le huis-clos des premières commissions militaires et, plus tard de la haute cour de justice, excluait