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attendait. Des tentatives semblables se renouvelèrent contre le général Drenteln, successeur de Mézentzef, contre Loris-Mélikof. Il y eut d’autres victimes parmi les fonctionnaires d’un rang plus modeste et les simples agens de police. On en trouva un mystérieusement poignardé sur la glace de la Neva. Quand les autorités réussissaient à dénicher une imprimerie clandestine, elles ne s’en rendaient maîtresses qu’au prix d’une véritable bataille, où les typographes révolutionnaires se faisaient résolument tuer. D’autre part, et pour se procurer les fonds nécessaires à leurs œuvres criminelles, les conspirateurs essayaient de dévaliser les trésoreries de quelques villes de province. Ils louaient une maison voisine, d’où partait le boyau souterrain qu’ils creusaient jusqu’aux caves du receveur des finances. Le coup manqua à Kichenef, il réussit à Kherson : toute la réserve du fisc, 1500000 roubles, disparut une nuit par la sape. On retrouva d’ailleurs peu de temps après la plus grande partie de cette somme, que les voleurs n’avaient pas pu mettre en lieu sûr.

Bientôt les attentats se concentrèrent sur la personne du souverain. Le 14 avril 1879, un petit employé des finances, Solovief, tira plusieurs coups de pistolet sur l’Empereur au Jardin d’Eté. A partir de ce moment, le poignard et le revolver furent remplacés par la dynamite et autres substances explosives. Le 1er décembre de cette même année 1879, le trop fameux Hartman faisait sauter aux portes de Moscou l’un des deux trains impériaux, celui où par bonheur Alexandre II ne se trouvait pas. On sut plus tard qu’il y avait eu trois mines échelonnées sur le parcours que le tsar devait suivre en revenant de Crimée : la première à Odessa, inutilisée par un changement fortuit d’itinéraire ; la seconde à Alexandrovo, où une imperfection technique empêcha l’explosion comme le train passait ; la dernière et la seule efficace, à Moscou. Moins de trois mois après, le 17 février 1880, la dynamite ébranlait le Palais d’Hiver : tandis qu’Alexandre II recevait son beau-frère, le prince de Hesse, dans la petite salle à manger de famille, cette pièce était entamée par une explosion ; le corps de garde situé en dessous s’effondrait, la catastrophe tuait ou blessait une quarantaine de victimes, serviteurs du palais et soldats du régiment de Finlande.

Aux attentats trop réels, suivis d’effet ou avortés, connus de tous ou dissimulés par la police, l’imagination populaire ajoutait les créations de son perpétuel cauchemar : il n’était bruit que de quartiers minés, désignés pour sauter à tel jour. Les ukases se succédaient, instituant l’état de siège renforcé, les cours martiales, changeant sans cesse les titulaires des hautes juridictions,