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ils n’aiment pas qu’on le leur apprenne ; surtout depuis que le socialisme théorique de ces dernières années est si fort mêlé à la propagande anarchiste de ces derniers mois.

C’est au moment où de pareils attentats se produisent, où la masse ouvrière est sollicitée de mille façons contre l’ordre social : où, dans le parlement, on manifeste pour les travailleurs un intérêt si tendre, et en même temps si platonique, puisqu’il se borne à la nomination de commissions spéciales et au dépôt de rapports volumineux ; c’est un pareil moment que la majorité de la Chambre choisit pour faire, de son premier vote effectif, un acte de surenchère protectionniste au détriment des prolétaires, en faveur des propriétaires fonciers. Les mêmes députés cependant qui prétendent assurer une rente minimum au possesseur de terre reculeraient sans doute devant l’institution légale d’un salaire minimum pour l’ouvrier. Les deux choses néanmoins sont corrélatives ; et si l’intervention de l’État doit s’exercer dans le domaine économique, il est singulièrement audacieux de la mettre au service d’une élite. Par son exagération même, la surtaxe nouvelle aura pour résultat de provoquer, dans la prochaine année de cherté des céréales, un contre-mouvement d’opinion assez puissant pour faire disparaître à la fois et la taxe additionnelle et la taxe primitive.

Plus la société doit, ce nous semble, traiter avec faveur la masse des laborieux pacifiques, destitués de tout capital, plus elle est autorisée à traquer, à détruire par tous les moyens en son pouvoir la bande sauvage qui lui déclare la guerre et se flatte de l’anéantir. Le gouvernement avait commencé sa campagne avec l’année nouvelle et des perquisitions avaient été faites le 1er janvier au domicile d’un certain nombre d’anarchistes, dont plusieurs se sont trouvés être en même temps des voleurs. Sur une interpellation de M. Clovis Hugues, qui aurait voulu sans doute, comme le lui disait dans sa réponse M. Raynal, que l’on laissât à ces individus « la liberté du laboratoire », la Chambre renouvela sa confiance au ministre de l’intérieur. Elle fit bien, puisque de nouvelles bombes ont encore éclaté depuis cette époque, l’une au café Terminus dont nous parlions il y a quinze jours, l’autre dans un hôtel de la rue Saint-Jacques, logis de pauvres, dont la concierge a été tuée par l’explosion.

D’autres bombes ont été découvertes ailleurs, dont on a pu paralyser les effets funestes ; mais il est clair que l’entreprise d’assassinat anonyme est loin d’être à bout et qu’elle se propose, pour remplir ce programme que Vaillant nous a confié avoir été celui de toute sa vie : « ne pas faire de mal à son semblable », de tuer, mutiler et estropier le plus de gens possible. Les misérables qui préparent, par de tels moyens, la civilisation améliorée dont ils rêvent, trouvent, heureusement pour nous, en face d’eux un pouvoir qui entend faire usage des lois dont on vient de l’armer et qui, s’il en était besoin, saurait en