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méprisant respect que de petits bourgeois ou de gros paysans marquent involontairement à l’ancien négociant, au failli de la capitale retiré dans leur voisinage après un concordat avantageux. Abjecte auréole des milliards ! après tout moins avilissante pour le front saignant de la noble blessée dont le cœur n’était pas à ses millions, que pour l’étranger dont les yeux cupides s’en laissaient éblouir !

La richesse, telle est, chez les modernes, la primauté la plus enviée des peuples. Ils n’en convoiteraient guère d’autre, si, pour la conserver, il n’était besoin d’être fort. Car, de nos jours, comme aux temps barbares, il faut le fer pour garder l’or. Grands et petits, tous les peuples, aujourd’hui, veulent une politique qui paye, comme dit le réalisme anglo-saxon. Israël dispersé n’est pas le seul dont la vieillesse ait mis son idéal dans l’argent et ses espérances en la richesse. Nous sommes en train d’en venir tous là. Comme Israël, notre France a longtemps cherché le royaume de Dieu, combattant, elle aussi, des croisades à la Révolution, pour sa foi et pour son idéal. Après tant de siècles de luttes et de gloires, faudrait-il dire d’elle, comme Renan des restes de Juda, qu’elle ne croit plus qu’à la richesse ?


IV

Pour s’être aggravé, le mal, à vrai dire, n’est pas nouveau. Le germe en était, dès longtemps, dans nos chairs aryennes. Notre Europe ne l’a pas gagné au contact d’une race exotique ; car, au lieu d’être un vice de sang particulier aux fils de Cham ou de Sem, c’est un mal presque aussi vieux que le monde, on pourrait dire une affection congénitale, dont toutes les nations, anciennes ou modernes, ont été plus ou moins atteintes. Elle semble inhérente au développement de la civilisation matérielle, et apparaît avec la richesse, là surtout où la richesse ne rencontre ni contrepoids social ni frein moral. C’était déjà, au soir de leur décadence, la maladie des sociétés antiques. Quoique ce semble plutôt un mal sénile, la jeunesse de nos races occidentales n’en a pas été indemne.

L’argent est un seigneur d’ancienne maison ; il a régné sur bien des peuples de races diverses, avant d’établir son empire sur nous. Qui voudrait rechercher les origines de sa royauté devrait remonter à la nuit de la préhistoire. La conquête de la Toison d’or a été le rêve de tous les chefs barbares. Ce n’est pas seulement, comme on ose nous le conter, à Tyr ou à Carthage, les phéniciennes, que l’argent a été le maître. Si Mammon est sémite, Ploutos est aryen ; et les Grecs d’Aristophane se disputent à qui