Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque sorte sous ma protection ; eux, pour prévenir le ressentiment qu’ils auraient pu avoir de ses reproches s’il m’en avait présenté contre ses oppresseurs, aussitôt que je ne serais plus là pour le défendre.

— Et moi, m’écriai-je, je porterai de vives plaintes sur la malpropreté de cette chambre !

Je montai chez Madame : la sienne était un peu moins indécemment tenue. Madame s’était habillée de bonne heure à cause du bruit qu’elle avait entendu pendant la nuit. J’ordonnai que les deux enfans de France pussent se promener chaque jour dans les cours de leur prison ; sur le compte que je rendis au Comité de Salut Public, j’obtins que des médecins examinassent le jeune malade, et qu’ils fissent leur rapport. Les médecins, parmi lesquels se trouvait Mr Dussault, déclarèrent la maladie très grave. En accordant aux deux prisonniers la promenade du soir et du matin, je voulus qu’on adjoignît au gardien chargé de soigner le fils de Louis XVI deux femmes qui préviendraient ses besoins et veilleraient surtout à la salubrité de son local. J’ai appris depuis par un commissaire du Temple que mes ordres n’avaient point été exécutés. »


Si l’on compare avec soin les deux textes, on constate que certains traits qui se trouvent dans le manuscrit autographe n’ont pas été conservés dans la rédaction définitive des Mémoires : l’habit gris, la face bouffie et pâle du petit prisonnier, la sollicitude de la sœur aînée, à qui un sûr instinct de femme révèle déjà qu’elle doit remplir la fonction de tendresse de la mère absente. À ces détails pittoresques et précis, M. de Saint-Albin a préféré le commentaire quelque peu ampoulé qu’il nous donne des regards que l’enfant royal, — qui s’étiole et qui meurt dans l’infect taudis du Temple, — aurait portés alternativement sur ses gardiens et sur le puissant personnage empanaché dont il reçoit la visite.

Oserai-je l’avouer ? la relation autographe de Barras, — cette relation sans orthographe, sans ponctuation, sans apprêt littéraire d’aucune sorte, — me semble plus intéressante, parce qu’on sent qu’elle est, dans sa sécheresse de procès-verbal, le décalque même de la réalité. Chargé de donner leur « rédaction dernière »