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aimait à se parer le comte de Barras cachaient l’âme d’un pleutre. Et ce point sera, je pense, suffisamment mis en lumière quand on aura vu le langage dont il use envers celle qui fit à ce faquin beaucoup trop d’honneur en le distinguant. Ajouter ce nouveau trait à ce que l’on connaissait du cynisme et de l’immoralité de cet homme, le montrer — et sur son propre témoignage — plus vil qu’on ne le soupçonnait de l’avoir été, n’est-ce pas une manière encore de défendre contre ce diffamateur la grande figure qu’il a voulu outrager ?

Et c’est pourquoi j’entreprends avec une sécurité absolue cette publication, où la mémoire de Napoléon n’a, j’en suis convaincu, rien à perdre, — et où l’histoire trouvera certainement son profit. J’en prends à témoin l’empereur lui-même :

« La calomnie a épuisé tous ses venins sur ma personne ; elle ne saurait plus me heurter ; elle n’est plus pour moi que le poison de Mithridate… Les pamphlétaires, je suis destiné à être leur pâture, mais je redoute peu d’être leur victime : ils mordront sur du granit. Ma mémoire se compose toute de faits, et de simples paroles ne sauraient les détruire… Si le grand Frédéric ou tout autre de sa trempe se mettait à écrire contre moi, ce serait autre chose, il serait temps alors de commencer à m’émouvoir peut-être ; mais quant à tous les autres, quelque esprit qu’ils y mettent, ils ne tireront jamais qu’à poudre… Le mensonge passe, la vérité reste… A quoi ont abouti, après tout, les immenses sommes dépensées en libelles contre moi ? Bientôt il n’y en aura plus de traces, tandis que mes monumens et mes institutions me recommanderont à la postérité la plus reculée… Malgré tous les libelles, je ne crains rien pour ma renommée. La postérité me rendra justice. La vérité sera connue, et l’on comparera le bien que j’ai fait avec les fautes que j’ai commises. Je ne suis pas inquiet du résultat[1]… »

Si j’avais besoin, pour publier les Mémoires de Barras, d’une autre autorisation que de celle de ma conscience, je la trouverais dans cette grande parole sous le poids de laquelle Napoléon, avec la souveraine autorité du génie sur de lui-même et de son œuvre, a d’avance accablé tous ses diffamateurs. Barras comme les autres « mordra sur du granit ».


George Duruy.
  1. Fragment empruntés au Mémorial et reproduits dans la Correspondance de Napoléon Ier. Paris, Pion et Dumaine. 1870, tome XXXII, p. 252, 287 et 325, passim.