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disparates, — byzantins, arabes, gothiques, classiques. Selon les quartiers, on pouvait se croire au Mont-Athos, au Caire, à Bruges, à Nuremberg ou à Florence, quand encore un même édifice ne rassemblait pas en lui seul les traits communs aux nationalités les plus diverses. À ce moment psychologique, — mettons qu’il corresponde à l’année 1475, — les artistes vénitiens se trouvaient comme à un tournant, également prêts à prendre n’importe quelle direction. L’arrivée de Mantegna les eût fait dévier du côté des Padouans et de l’antiquité ; celle du Pérugin, du côté des Ombriens ; celle de Botticelli ou de Ghirlandajo, du côté des Florentins.

Le hasard voulut que les chefs du mouvement, les frères Bellin, se rattachassent à la fois à la primitive École de Murano, avec ses convictions profondes, son coloris éclatant ; à l’École de Padoue, l’école classique par excellence, représentée par leur père Jacopo Bellini et leur beau-frère, le grand Andréa Mantegna ; enfin à l’École flamande, dont Antonello de Messine venait de propager les principes à Venise. Comme ces facteurs en apparence contradictoires sont entrés pour une part plus ou moins considérable dans la formation de l’École vénitienne, il importe avant tout de les passer rapidement en revue.

Tributaires des Byzantins pour la mosaïque, les Vénitiens le furent des Flamands pour la peinture à l’huile. D’innombrables liens rattachaient Venise à Bruges et à Anvers, sans rien dire de Cologne, de Nuremberg ou d’Augsbourg. Tantôt, c’était « Johannes de Alemania » qui venait se fixer à Murano et fondait avec Antonio Vivarini la primitive École vénitienne ; tantôt, c’était Jacopo de Barbari qui, cédant à des affinités électives, se fixait à Nuremberg d’abord, dans les Flandres ensuite ; tantôt enfin, c’était Albert Dürer, qui tentait la fortune dans la cité des Doges. Si l’on tient en outre compte de l’importation des tableaux flamands, des tapisseries flamandes, des gravures allemandes, on s’expliquera sans peine la multiplicité des analogies entre l’École vénitienne et les Écoles du Nord, sa passion pour la couleur et son goût, non moins accusé, pour un réalisme qui n’excluait d’ailleurs pas la mysticité.

C’est à ces influences septentrionales qu’il faut tout d’abord faire honneur des progrès réalisés par les Vénitiens dans l’art du portrait : plus d’une des effigies peintes par Antonello de Messine ou les Bellini serait signée de Thierry Bouts, de Memling ou de Hugo van der Goes qu’elle ne détonnerait pas dans l’œuvre de ces maîtres : la précision et la vigueur n’y sont pas moindres.

Dans la peinture d’histoire ou la peinture de genre, les