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été peint d’après nature, mais seulement, à ce qu’il semble, d’après une médaille. Il a malheureusement poussé au noir.

Dans l’Homme au gant, la physionomie est sympathique, malgré un fond de tristesse. Le teint ambré, le pourpoint noir, la collerette et les manchettes blanches, les gants gris, forment, avec le fond, un accord grave et sévère ; le Titien, on le sait de reste, excellait dans les tonalités sombres aussi bien que dans les feux d’artifice.

Ces portraits, ainsi que celui de la duchesse d’Urbin (au musée des Offices), d’une fermeté si grande, appellent une comparaison avec ceux du plus habile portraitiste italien contemporain, le Bronzino : ils offrent autant de netteté et de décision qu’eux ; mais, moins écrits, ils sont plus enveloppés.

Dans d’autres portraits tels que le médecin Palma, au musée de Vienne (peint vers 1530), le Titien apparaît comme un précurseur de Rembrandt : la tête et la main du personnage s’enlèvent en lumière sur le vêtement sombre et sur le fond en y produisant l’effet le plus saisissant.

En regard de ces incontestables mérites, la critique a le devoir de signaler les lacunes. Souvent les héros du peintre vénitien posent trop visiblement ; ils ne se montrent pas dans la familiarité de leurs attitudes, dans l’intimité de leurs pensées. C’est que, sauf quand il s’agit de lumière et de couleur, l’art de caractériser et, d’une manière plus générale, l’observation objective constituent précisément le côté faible, le point vulnérable de ce grand virtuose. Son extrême facilité, cette assimilation parfois trop rapide pour être profonde et complète, sont une autre cause d’infériorité. Et puis, à tout instant, il sacrifie l’étude du caractère moral pour courir après quelque bel effet de lumière. On comprend qu’en risquant ce paradoxe, j’éprouve le besoin de me retrancher derrière l’autorité d’un des maîtres du portrait moderne. « Parmi les êtres peints par Holbein, Velasquez, Rembrandt, — c’est M. Carolus Duran qui parle ainsi, — il n’en est pas un qui ne semble être de votre intimité. On s’écrie malgré soi : il me semble que je le connais ! Comme ça doit être ressemblant ! » C’est que chacun de ces êtres a sa vie propre, sa tournure personnelle, en dehors des habitudes, des tendances plastiques de leur auteur. Titien, malgré ses admirables œuvres dans cet art, est comme une transition entre ces premiers et ceux pour qui l’intimité n’a pas été une loi. »

C’est surtout lorsqu’il s’agit de peindre le portrait officiel, avec le costume d’apparat, que le maître se trouve désorienté. C’est que, pour déployer toutes ses ressources, il a besoin d’une indépendance absolue. Prenez le portrait de l’impératrice Isabelle,