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funérailles et surtout le service célébré le 24 décembre aux Capucins de la rue Saint-Honoré, pour entendre son oraison funèbre attirèrent une foule immense et eurent le caractère d’un deuil public.

Les hommes dont l’activité s’est dépensée dans les luttes de la politique et dont l’influence a pesé sur les événemens de ce monde, appartiennent à la discussion et ne lui sont soustraits ni par la mort ni par le temps. Ce fut le sort de Richelieu et du Père Joseph. Leurs noms aujourd’hui encore alimentent des polémiques et soulèvent des passions. Catholique ou protestant, Français ou Allemand, l’historien, en racontant et en appréciant leur vie, a besoin de faire un effort pour rester impartial. Nous n’avons pas dissimulé ce que la morale peut leur reprocher ; mais il est juste de dire que leurs adversaires, les conseillers de Philippe IV et de Ferdinand II, n’étaient pas plus scrupuleux. La politique, qui est souvent sans entrailles, n’a peut-être jamais été plus impitoyable que pendant la guerre de Trente ans. L’Europe centrale, ravagée par les bandes de Tilly et de Mansfeld, de Wallenstein et de Weimar, ne respira qu’après la paix de Westphalie. Cet accord si péniblement obtenu donna aux nations civilisées un équilibre tolérable et à la France une frontière qu’elle a gardée jusqu’en 1871. Quand Richelieu arriva au pouvoir en 1624 et appela auprès de lui le Père Joseph, nous n’avions à l’Est que la ligne de la Meuse pour nous défendre contre une invasion. En 1642, lorsque le cardinal succomba quatre ans après son collaborateur, l’Alsace, moins Strasbourg et Benfeld, était occupée ; le Rhin était gardé pour le compte de la France par l’armée weimarienne, placée, depuis la mort de son chef, sous le commandement de l’héroïque Guébriant. Voilà l’œuvre de Richelieu et du Père Joseph. Elle a duré plus de deux cents ans. Nous qui l’avons vue s’écrouler, nous qui avons longtemps espéré, mais qui n’espérons plus vivre assez pour la voir se relever, nous pouvons en apprécier et les difficultés et la grandeur.


EDOUARD HERVE.