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que sa vie politique soit une et se déduise bien, d’un bout à l’autre, comme une belle démonstration juridique ou philosophique. Mais il ne peut pas faire que la thèse de son maître soit vraie, que la volonté transforme la face des choses et qu’il suffise de vouloir pour empêcher les circonstances de changer, ainsi qu’on s’en empêche soi-même. Et il ne peut pas faire non plus que, les circonstances changeant, et la foule, par tous pays, étant myope à discerner les causes, elle n’éprouve le besoin de mettre des noms sur les faits et d’incarner pour ainsi dire ses jugemens ou ses impressions, et qu’il ne soit lui-même un peu victime des apparences, puisque, aussi bien, si le monde est volonté, Schopenhauer n’enseigne-t-il pas qu’il est également représentation ? et que chacun s’en façonne à son gré l’image qui lui plaît le mieux ou qui lui est le plus commode ?

De même que la gauche, la droite de la seconde Chambre est divisée en plusieurs fractions. Elle se compose de deux élémens principaux : les catholiques, d’une part, et, de l’autre, les calvinistes purs ou anti-révolutionnaires. On serait enclin à penser qu’il n’y a pas à faire l’histoire du parti catholique néerlandais, que ce parti n’a pas d’histoire intérieure, qu’il n’en a une qu’en face des autres partis, et que, dans ce pays où les catholiques sont en minorité, ils se présentent en rangs serrés, bien disciplinés et compacts. Mais, pour l’instant et particulièrement sur cette question de la réforme électorale, ils forment deux groupes séparés par des dissensions assez graves, qu’on pourrait appeler : le premier, catholiques-aristocrates ; le second, démocrates-catholiques. Dans le groupe des aristocrates, on ne voit pas quel est le chef : tout le monde y est chef et tout le monde soldat, ou plutôt c’est un duumvirat, un triumvirat, un décemvirat. Le chef incontesté du groupe démocratique est le docteur Schaepman, prêtre et professeur au séminaire de Rijsenburg, le premier poète[1], le premier orateur, un des premiers tacticiens parlementaires, un des hommes les plus illustres de la Hollande contemporaine.

Forte et attachante figure, qu’un Rembrandt ou un Franz Hals eût aimé à peindre et qu’à leur défaut le crayon de l’habile dessinateur Jan Veth s’est efforcé, non sans succès, de retracer ; stature et carrure de Néerlandais de pure race, nez aux narines largement ouvertes, menton d’un modelé franc et hardi, œil malicieux et inquisiteur, d’un bleu doux que rend étrange la fixité du regard, derrière les lunettes aux branches d’or perdues on des cheveux clairsemés d’un blond pâli ou grisonnant. La bouche surtout,

  1. Verzamelde Dichtwerken, van Dr H. J. A. M. Schaepman, 1867-1892. Amsterdam, C. L. van Langonhuysen, in-8o.