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moins selon les partis politiques que selon les catégories sociales.

D’un côté, les privilégiés : ceux qui possèdent le sol ou les capitaux, de l’autre ceux qui représentent le travail, entendez le travail pour le pain quotidien. Sans doute, il y a, de l’un et de l’autre côté, des exceptions et ce classement des voix pour ou contre l’extension du droit de suffrage est encore très imparfait, mais il n’y en a pas de meilleur. L’instinct théologique lui-même, les croyances religieuses elles-mêmes qui sont, on ne le dira jamais trop, le fond de la Hollande politique, passent ici à l’arrière-plan, ne fournissent point les élémens d’une autre classification, puisque le projet de réforme électorale a pour lui des positivistes, des protestans, des catholiques, des calvinistes et contre lui des calvinistes, des catholiques, des protestans et des positivistes.


IV

Ce projet de réforme sera-t-il adopté ? Le sera-t-il avec plus ou moins de modifications qui en neutraliseront ou en diminueront l’effet ? Sera-t-il rejeté en bloc, et, s’il l’est, qu’en résultera-t-il ? Le cabinet le retirera-t-il[1] et se retirera-t-il du même coup ? Ou courra-t-il les chances d’une dissolution ? Si la seconde Chambre est dissoute, que donneront les élections nouvelles ? Une majorité catholique et anti-révolutionnaire ou bien une majorité libérale, favorable ou hostile à la réforme électorale ? Qui remplacera M. van Tienhoven ? M. le baron Mackay, M. Roëll ou M. van Houten ? Ou bien, le projet repoussé, n’aura-t-on pas, sans le vouloir, fait de M. Tak van Poortvliet l’homme nécessaire et presque providentiel ? Petites questions qui ont leur intérêt, et dont chacun escompte la solution dans ses petits calculs, mais petits calculs et petites questions. Ces petites questions ne sont pas la question.

Parmi les membres de la droite, les plus prudens ou les plus timorés, les conservateurs disent : « Quel besoin avait-on de soulever ce lièvre ? Les ouvriers n’y pensaient pas, si on ne leur en avait pas parlé ! » Est-ce bien sûr ? Mais admettons que cela soit : on leur en a parlé : on en a fait la question pour eux. Au demeurant, il est possible que l’extension du droit de suffrage n’ait été, au début, qu’une plate-forme électorale pour un parti, que la

  1. La réponse ne s’est pas fait attendre. La seconde Chambre ayant adopté un amendement de M. de Meijier, que combattait M. Tak van Poortvliet, le ministre a retiré son projet. Le conflit est ouvert et ne peut se clore que de deux manières, ou par la démission du Cabinet, ou par la dissolution de la Chambre. Mais écartée, ajournée par le Parlement, la question est maintenant posée dans le pays. Elle passe à l’état aigu.