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silence. Triste remède, violent et précaire ! La contrainte qui place ses gardes autour de la pensée est comme la cohorte romaine qui veillait sur le tombeau du Christ : le troisième jour, les soldats s’endorment et le verbe sort du sépulcre. Dans un pays où elle appelle sous ses drapeaux tous les citoyens, l’armée a une meilleure manière de servir la vérité : au lieu de briser les erreurs par la force, elle peut les redresser par l’exemple.

Ce n’est pas impunément que chaque Français pénètre dans ce monde dont l’ordre est si contraire aux règles de la société politique. Il est contraint de reconnaître que les principes de celle-ci ne sont ni universels ni absolus comme l’évidence. Bon gré, mal gré, il compare les résultats des doctrines qui blessent ses habitudes et son orgueil aux résultats des doctrines acceptées jusque-là par lui sans réserve et sans examen. Il voit que de tous les corps organisés dans la nation, l’armée est presque le seul où les chefs semblent à leur place, aient figure de chefs, où le pouvoir soit conquis sans intrigue, obtenu par des services réguliers, exercé dans l’intérêt général. L’armée revêtue de ce prestige affirme par toutes ses institutions que la légitimité du commandement n’est pas dans la popularité, mais dans la compétence ; qu’il n’y a pas entre les hommes égalité, mais hiérarchie d’aptitudes ; que, la supériorité des dons personnels faisant les chefs, le nombre n’a pas à créer l’autorité, mais seulement à se soumettre à elle ; que l’autorité descend d’en haut, et que rien, sinon la révolte, ne saurait monter d’en bas. À cette école le citoyen apprend la modestie ; il s’instruit à douter des idées et des hommes qui flattent sa souveraineté ; il devine, dans la rudesse des démentis donnés à ses goûts par les institutions militaires, quelque chose de sain et de vrai ; la grandeur de l’obéissance se révèle à lui. Voilà le dernier et non le moins important rôle de l’armée : elle peut exercer une influence sur la société civile, et restaurer en certaine mesure le respect de l’autorité.

Trois puissances dans la société avaient autrefois cette vertu éducatrice et disciplinaient l’homme : l’église, l’école et l’armée. De nos jours la force ; de l’Etat s’est employée à détruire la force de l’Eglise : la religion, objet de mépris pour les uns, de haine pour les autres, de dispute pour tous, n’oppose plus aux erreurs et aux vices que l’action affaiblie et calomniée de ses conseils. L’école, pour empêcher les enfans de se courber sous la superstition, exalte en eux l’idée de la grandeur et de l’indépendance humaines, leur donne l’orgueil de la science avant la science, et dès l’alphabet ils lèvent sur le monde, sur leurs maîtres, sur leurs parens même leur petite tête et leurs jeunes regards qui sont