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les Pattes de mouche, après un papier, qui paraîtra peut-être dans un journal et peut-être n’y paraîtra pas, et peut-être n’est qu’une photographie ou peut-être est un original. Entre ce Legros quelconque, ce vague Isidor et cet incertain Le Barbier que se passe-t-il au juste ? Qu’ont-ils fait ? Que craignent-ils ? Ce ne sont que bonshommes sans individualité s’agitant dans un scénario à la fois sommaire et compliqué. « Cette tragédie en habit noir, dit M. Barrès, resserrée dans un bref espace de dix-huit heures et où l’on voit à quelle férocité peut atteindre la peur, ne serait-elle pas un curieux raccourci d’art, un morceau fortement articulé, décharné mais concis, roide et simplifié autant qu’il est possible ? » On se souvient d’un couplet fameux de Molière. On admire quelles illusions peut se faire un auteur amoureux de lui-même, et qui a érigé en théorie le « culte du moi », et de quelles épithètes il dispose pour désigner ce qui n’est, à vrai dire, que l’insuffisance et le vide. Comparez la pièce de M. Barrès avec le simple procès-verbal de telles séances de la Chambre ou de la Cour d’assises. Vous verrez combien l’art est ici inférieur à la réalité. Mais une œuvre d’art est inutile quand elle n’est pas tout au moins une interprétation des faits. Au point de vue littéraire la pièce de M. Barrès n’existe pas ; et peut-être est-ce aussi à cause de cela que la critique se trouvait un peu embarrassée pour la juger. Dégagée de l’attrait que le scandale pouvait lui prêter, la Journée parlementaire est un pur néant.


La mode serait-elle en train de revenir au drame en vers ? Nous ne nous en plaindrions pas, puisqu’aussi bien il ne viendra plus à l’esprit de personne d’employer le vers pour traduire les détails de vie familière dont est faite la comédie ou le drame bourgeois. C’est l’auteur d’Yanthis, M. Jean Lorrain, qui nous conte un conte bleu en vers d’une insignifiance très douce. Ce sont les auteurs d’Izéyl, MM. Armand Silvestre et Eugène Morand, dont le drame, accompagné de musique, de figuration et de trucs, nous ramène au genre « éminemment français » de l’opéra-comique, quand ce n’est pas à celui de la féerie. Rechercher si le bouddhisme d’Izéyl est d’une indiscutable authenticité et d’une sincérité parfaite, ce serait faire preuve de quelque candeur. On ne doit au surplus demander compte à des écrivains que de ce qu’ils ont voulu faire. MM. Silvestre et Morand ont constaté comme tout le monde le courant qui entraîne aujourd’hui les âmes vers une sorte de vague religiosité ; ils ont voulu donner à leur tour quelque satisfaction à la badauderie du public. Il leur a semblé que la légende du Bouddha pouvait servir de prétexte à des tirades harmonieuses aussi bien qu’à d’agréables décors, et qu’il ne serait pas très difficile d’y coudre un épisode violemment pathétique où Mme Sarah Bernhardt passerait par toutes les angoisses de l’épouvante et Mme Marie Laurent une fois de plus