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serait plus aux ordres du proconsul, mais qu’elle dépendrait directement de l’empereur. Ce n’était encore qu’une demi-mesure : on la compléta en décidant que la Numidie, où la légion campait, serait séparée de l’Afrique proconsulaire. On en fit une province impériale, et elle fut administrée, sous l’autorité directe du prince, par le chef de la légion, qui s’appelait legatus[1]. Le légat réunissait donc dans sa main l’administration du pays et le commandement des troupes.

C’est ainsi que les Romains tranchèrent une question qui nous a beaucoup divisés. On a longtemps discuté chez nous, à propos de l’Algérie, pour savoir ce qui valait mieux du gouvernement civil ou du gouvernement militaire. Jusqu’en 1870 toute l’autorité était aux mains d’un général, ce qui soulevait beaucoup de plaintes. Aussi le premier acte de la révolution fut-il d’enlever au chef de l’armée le pouvoir souverain et de placer en dehors de lui un gouverneur civil. Les Romains ont résolu la difficulté d’une autre manière. Comme ils craignaient que, si l’autorité était partagée, elle ne fût affaiblie, ils se décidèrent à séparer le territoire civil du territoire militaire ; mais dans chacun des deux le pouvoir fut laissé tout entier dans la même main. L’Afrique proconsulaire, riche, florissante, paisible, groupée autour de Carthage, qui venait de renaître, était gouvernée par un grand seigneur, un homme du monde, qui n’avait besoin que de quelques soldats pour maintenir le bon ordre ; au contraire, la Numidie, qui de tous les côtés faisait face à des tribus remuantes, fut mise sous les ordres du général qui commandait la légion. De cette façon tous les tiraillemens étaient évités, et, ce qui plaisait beaucoup aux Romains, les deux gouverneurs, le magistrat civil et le militaire, restaient maîtres chez eux. On choisissait comme proconsul d’Afrique un personnage important, qui possédait d’ordinaire une grande fortune et portait un nom connu. Il devait résider à Carthage, qui était en train de devenir une des plus belles villes du monde, et y tenir une sorte de cour. Il était nommé par le Sénat, pris parmi les consulaires et, selon un ancien usage, désigné par le sort. Il ne restait jamais qu’un an en fonction. Auguste ayant réglé que tous les fonctionnaires recevraient, hors de Rome, un salaire en argent, à la place de ces prestations en nature, qui donnaient lieu à tant d’exactions, les appointemens du proconsul d’Afrique furent fixés à un million de sesterces, c’est-à-dire à un peu plus de deux cent mille francs. Sans avoir autant d’importance apparente, le légat de Numidie tenait aussi un rang très considérable. Il était pris dans le Sénat, ancien préteur, quelquefois

  1. Ou, comme on disait autrefois chez nous, lieutenant général.