Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/495

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous ceux de nos officiers qui ont servi en Afrique sont unanimes à leur accorder. Chaque troupe était placée dans le poste qui lui convenait le mieux, et où elle pouvait rendre le plus de services. Quand une fois elle s’y était solidement établie, on l’y laissait ; elle prenait l’habitude d’y vivre et s’y familiarisait de plus en plus avec le pays et les habitans. L’oasis d’El-Kantara est bien connue des voyageurs. C’est l’endroit où, après avoir longtemps suivi une route triste et monotone, entre des montagnes dépouillées, on aperçoit tout d’un coup, par une déchirure de roche, l’immensité du désert : à ce spectacle inattendu le voyageur éprouve un éblouissement dont les yeux ne se lassent pas. Les anciens racontaient qu’Hercule, d’un coup de pied, avait fendu en deux la montagne, et, en mémoire de cet exploit, ils appelaient ce lieu Calceus Herculis : c’était la porte du Sahara, et, pour la garder, on y avait mis une compagnie de soldats auxiliaires levés à Palmyre (numerus Palmyrenorum), qui, accoutumés aux ardeurs du désert de Syrie, devaient presque s’y trouver chez eux. Ils y sont restés sans doute assez longtemps, car on y retrouve des traces de leur séjour, et notamment des autels qu’ils avaient élevés à Malagbal, leur dieu national. Ce qui prouve que l’emplacement des postes romains était bien choisi, c’est qu’il est rare que nous n’ayons pas été forcés de nous y établir aussi, ou d’en construire d’autres dans le voisinage. En général ils commandent les passages dangereux et surveillent les routes par lesquelles les pillards peuvent déboucher. Ces castella ou burgi, comme on les appelait, sont à peu près tous bâtis de la même façon. Ils se composent d’une enceinte rectangulaire percée de quatre portes, comme les camps romains, et flanquée de tours rondes ou carrées. Les paysans des alentours, dans un danger imprévu, s’y réfugiaient avec leurs familles. A l’abri de ces solides murailles, quelques soldats déterminés pouvaient tenir plusieurs jours, comme nos 123 zéphyrs à Mazagran. L’important était d’avertir au plus vite les chefs de l’armée de la situation où l’on se trouvait. On y avait pourvu par une invention ingénieuse, dont nous avons retrouvé le secret il y a juste un siècle. D’ordinaire les castella sont reliés entre eux par des tours isolées dont il reste quelques débris. Ces tours devaient être en général assez étroites. Quelques-unes possèdent une porte et un escalier qui conduit au sommet ; d’autres n’étaient accessibles que par une échelle placée extérieurement et qu’on retirait quand on était monté. Elles étaient destinées, selon M. Cagnat, à faire parvenir les nouvelles d’un fort à l’autre. Souvent, pour annoncer l’approche de quelque péril, on y allumait un grand feu dont la flamme pendant la nuit et la fumée pendant le jour s’apercevaient au loin ; cette sorte de signal est encore