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Qu’est-ce au juste que le salaire familial ? Cela est assez malaisé à dire, car ceux qui ont inventé le mot et la chose ne sont déjà plus d’accord. Au premier abord, il avait semblé que cela irait tout seul. Le célibataire serait assuré d’un salaire minimum ; quant à l’ouvrier marié, le patron serait tenu d’augmenter son salaire proportionnellement par tête d’enfant. C’était très simple. Mais quelques plus grands clercs que les autres ont fait remarquer que peut-être il n’était pas très conforme à l’intérêt de l’ouvrier de l’inciter à avoir un enfant tous les ans pour augmenter son salaire, et que ce serait une manière assez brutale de pousser à la reproduction. Ils ont également fait observer que, si l’on pouvait, à la rigueur, contraindre le patron à majorer le salaire minimum par tête d’enfant, on ne pourrait cependant pas l’empêcher de prendre de préférence des ouvriers non mariés, puisqu’il les payerait moins cher, ou même de se refuser totalement à en prendre d’autres. Prime à la reproduction brutale dans certains cas, prime indirecte au célibat de l’autre : voilà ce que serait devenu dans la pratique le salaire familial. On s’est ému de ces objections et l’on s’efforce aujourd’hui d’y répondre. Il s’agirait de faire déterminer par la loi la famille moyenne. Doit-elle être de trois ou de quatre enfans ? La question n’est pas encore décidée. Sans doute, on prend l’avis des mères. Cette famille moyenne servirait de base à la fixation du salaire minimum. Tout le monde y aurait droit, aussi bien le célibataire et l’époux sans enfant que celui qui en aurait dix. Le célibataire qui aurait un salaire supérieur à ses besoins ferait des économies en vue de l’avenir. Quant à celui qui aurait dix enfans, tant pis pour lui, ce serait sa faute. Mais il est une chose à laquelle on n’a pas pensé, c’est que le plus heureux serait l’époux sans enfans. Il aurait toutes les joies et tous les profits du mariage sans les charges. De sorte que la prime au célibat et à la reproduction finirait par devenir une prime à la stérilité. Et voilà, comme remède à un état social, suivant eux intolérable, ce que certains catholiques ont trouvé !

Ce point de départ, que l’état social actuel est à la fois intolérable et injuste, semble aujourd’hui généralement admis par toute une école de catholiques. Depuis quelque temps ils vont même beaucoup plus loin dans ces affirmations qu’ils n’avaient été jusqu’à présent. On croyait en effet d’un commun accord que, si la condition des ouvriers de la grande industrie est, dans certaines régions du moins, assez dure, si leurs salaires étaient insuffisans et leur condition précaire, il n’en était pas de même de la condition des paysans. Sans établir avec le passé des comparaisons