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De tendresse et d’amour filtra de son regard.
Raoula reposait comme en un lit de roses ;
Dans ses yeux, une aurore essaya de surgir,
Ces yeux auraient voulu lui dire tant de choses
Un éclair dilata leurs paupières mi-closes,
Et puis tout s’éteignit dans le dernier soupir.

Les jours, les mois, les ans passèrent.
Enfin, au seuil de l’Himavat,
Anannda, — que les Dieux aimèrent, —
Rendit son âme au Baghavat,
Qu’on nomme Roi des Solitaires.
Son âme, ouverte aux grands mystères,
Sur la route du Nirvana
Triste et seule s’achemina.
Il traversa les monts sublimes,
Les neiges et les hautes cimes,
Forts de glace, mornes cités,
Où meurt la Plainte et l’Espérance
Mais où l’Ombre de la Souffrance
Habite les immensités.

Regrettant à demi la terre où le cœur brûle,
Entre des monts abrupts, au versant opposé,
Il aperçut un lac tranquille, au crépuscule,
Un lac dormant et bleu sous un voile rosé.
Un peuple de lotus ondulait sur la rive
Et gémissait parfois sous la molle vapeur ;
Car chaque fleur cachait, prisonnière plaintive,
Une âme — expiant là, tremblante sensitive,
Ses péchés en silence, en la froide torpeur.

Et voici — merveilleuse aurore —
S’entrouvrir un lotus en fleur.
Le pèlerin en vit éclore
Une belle âme en sa blancheur.
Et jaillir un corps diaphane
Aux bras couleur de cymophane,
Les yeux voilés d’un long sommeil,
Tristes encor de leur réveil.
Elle ruisselait reposée
D’un bain d’azur et de rosée.
O joie ! ô réveil radieux !