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diplomatie, sans le savoir, et quelle diplomatie ! Il risquerait de nous engager militairement, sans le vouloir, sur une vingtaine de points à la fois ! Le moment n’est pas venu de mettre des instrumens aussi dangereux entre des mains qui n’ont pas encore été éprouvées. Il reste, en dehors de cela, assez d’attributions importantes à conférer au ministère des colonies. Sa première préoccupation devra être, d’ailleurs, de se constituer lui-même, et l’œuvre n’est pas facile. Le caractère un peu indéterminé du sous-secrétariat d’État avait influé d’une manière parfois fâcheuse sur la marche de ses services, et il s’en faut de beaucoup que toutes les traditions de la maison soient bonnes à conserver. M. Ernest Boulanger est un homme d’ordre et de méthode. La moindre incorrection lui est antipathique. Les règles de la comptabilité lui sont familières : il a vécu dans leur pratique et n’a jamais souffert qu’on en déviât d’une ligne. Sa carrière administrative s’est passée tout entière dans l’enregistrement, dont il était devenu le directeur général, et sa carrière politique au Sénat, dans la commission du budget, dont il était devenu le rapporteur général en quelque sorte inamovible. Ses qualités, développées, affinées par un long exercice, vont juste à l’encontre des défauts nombreux qu’il devra faire disparaître de l’administration qui lui est confiée. Il n’y parviendra pas sans lutte, et il n’y réussira que s’il est soutenu avec une fermeté inébranlable par le gouvernement et par les Chambres. Heureusement, il y a une volonté aujourd’hui à la tête du gouvernement, et c’est sans doute ce qui a inspiré à M. Boulanger la confiance dont il a besoin pour mener à bon terme la tâche écrasante qu’il a acceptée.

Pendant que notre ministère prend meilleure tournure, on ne signale autour de nous que des crises ou des dangers de crise. En Belgique, M. Beernaert a donné sa démission. Fatigué par dix années de pouvoir et par des difficultés sans cesse renaissantes, il a refusé de le reprendre, et il a été remplacé par M. de Burlet. Nous aurons à revenir sur cette situation. En Hollande, le ministère, battu sur la loi électorale qu’il a présentée, se dispose à dissoudre la Chambre et à faire appel au pays. En Italie, le Parlement vient, comme chez nous, d’entrer en vacances, mais ses commissions continuent de travailler, et le désaccord entre elles et M. Crispi s’accentue chaque jour : on annonce, pour la rentrée, une grande bataille dont le résultat est incertain. En Espagne, M. Sagasta a reconstitué son cabinet, mais les nouveaux choix qu’il a faits sont critiqués et le mécontentement est assez vif. La crise, un moment suspendue, reprendra peut-être bientôt son cours. Sur tous les points, l’horizon est agité ou obscurci. Toutefois, c’est surtout de l’autre côté de la Manche que la situation est intéressante et originale. Il y a là moins qu’une crise ministérielle dans la forme, et infiniment plus dans le fond. La retraite spontanée de M. Gladstone a ouvert pour le parti libéral une évolution dont il est impossible de