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a laissé apparaître des tendances allemandes assez accentuées. Son intimité avec le comte Herbert de Bismarck a pu le servir autrefois, et lui est sans doute aujourd’hui moins utile, mais n’en est pas moins restée un de ses caractères distinctifs comme homme politique. À ces titres divers, il a donné à la diplomatie du gouvernement libéral une allure qui n’est peut-être pas tout à fait conforme à ce qu’on savait des aspirations personnelles de M. Gladstone ; mais en acceptant la direction du Foreign-Office, il avait posé comme condition absolue qu’il en serait maître, et il l’était. Ménagé par les conservateurs, aussi longtemps du moins qu’il est resté au second plan, considéré par les libéraux comme une force précieuse et comme l’espoir du parti, il jouissait d’une situation exceptionnelle que son rapide avènement au pouvoir a compromise à quelques égards. On s’est demandé aussitôt s’il était possible que le parti libéral restât avec lui ce qu’il était avec M. Gladstone. Certes le contraste est frappant entre la physionomie des deux hommes, et celle de lord Rosebery étonne au premier abord. Mais lorsqu’on a vu M. Parnell roi sans couronne de l’Irlande et chef tout-puissant du parti irlandais, il faut s’attendre à tout et ne se fier qu’à l’événement.

L’événement, jusqu’ici, n’a pas été tout à fait favorable à lord Rosebery : on a constaté assez vite qu’il était loin d’avoir sur son parti le même prestige et le même ascendant que M. Gladstone. Les radicaux lui ont montré dès le premier jour une hostilité de principe : ils n’admettent pas que le chef du parti libéral soit un lord. Cela est, à leurs yeux, contraire à la tradition, et particulièrement inopportun dans un moment où il s’agit de poursuivre contre la Chambre haute la guerre sans merci que M. Gladstone lui a déclarée. Lord Rosebery a eu beau dire que ce n’était pas sa faute s’il était né dans telle catégorie sociale plutôt que dans telle autre ; qu’il n’en était pas moins digne de servir son pays, ses idées, son parti, et qu’on le verrait bien ; il a eu beau reprendre à son compte et accentuer encore l’acte d’accusation que son bouillant prédécesseur avait dirigé contre la Chambre des lords, la confiance ne se commande pas et, chez les radicaux, elle n’existe point. Il ne faut pas oublier que la majorité libérale à la Chambre des communes n’est que de 42 voix : il suffit, par conséquent, d’en déplacer une vingtaine pour la changer. Restent les Irlandais : ils sont 80 et peuvent, dès lors, dicter leurs volontés. Ils avaient négocié et s’étaient à peu près entendus avec M. Gladstone : ils attendaient avec impatience les déclarations de lord Rosebery. Celui-ci ne les a pas fait attendre longtemps. Suivant une habitude anglaise, il a réuni le parti libéral au ministère des Affaires étrangères, pour lui exposer son programme avant de comparaître devant les Chambres, et là, qu’a-t-il dit aux Irlandais ? Que les engagemens pris par le parti libéral au sujet du home rule étaient sacrés, que leur exécution était une question