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les établissemens financiers dans la dépendance de l’État. On s’expliquait mal, parfois, certaines connexités, devant le corps électoral, d’hommes et de groupes qui semblaient en guerre déclarée pour la conquête de la République. Le secret de ces scandaleuses alliances était, en partie, dans la complicité de certaines pratiques. Entre l’opportunisme et le radicalisme, ces deux frères ennemis, alliés des grands jours, il y avait un autre lien que l’esprit sectaire et la commune passion anti religieuse : le carnet de chèques. Plutus-Mammon est, après Vénus-Astarté, le dieu dont s’offusque le moins le zèle athée de nos laïcisateurs. Sous quels traits apparaîtra, dans l’histoire, cette concentration républicaine qu’on osait nous présenter comme l’arche du salut ? Sous la figure du ministre des finances et du chef de l’extrême gauche, de l’opportuniste et du radical escortant, de concert, leur ami le baron de Reinach, chez leur ami Cornélius Herz. Qui voudrait peindre, en un vivant tableau, la politique des dernières années, aurait là le sujet d’un beau groupe symbolique.

Encore, n’est-ce pas dans les parlemens ou dans les ministères que se fait le plus sentir l’ingérence de l’argent. Son ascendant s’exerce plus encore, sur une puissance qui se dit supérieure aux autorités constituées, sur la presse. En France, en Allemagne, en Autriche-Hongrie, en Italie, tout comme dans les deux Amériques, peu de feuilles échappent entièrement à ce joug avilissant. La plupart ont au cou un collier d’or, sur lequel leur maître a soin de ne pas graver son chiffre. Les maisons de banque, les financiers subventionnent volontiers les journaux, les achetant ou les prenant à bail, en tout ou en partie. Les habiles consentent à y perdre de l’argent ; ils se rattrapent dans les émissions ou dans les fournitures, sur le dos du public ou sur le dos de l’Etat. Des faits récens l’ont montré : les feuilles les plus vénales sont souvent celles qui dénoncent le plus bruyamment « les exploiteurs du peuple ». Les journaux honnêtes (il en reste encore, Dieu merci) ne vendent ni n’afferment leur partie politique ; mais beaucoup ne se font pas scrupule de céder, au plus offrant, leur partie financière. Et le public est dupe de bizarres marchés ; telle feuille d’extrême droite, ultra-catholique, telle feuille d’extrême gauche, ultra-radicale, ont leur bulletin financier vendu au même courtier israélite ou protestant. Les gazettes les mieux pensantes ne dédaignent pas toujours de s’abreuver à ce Pactole. Aux époques d’émission, la presse, de toute nuance, passe à la caisse du banquier émetteur. Ainsi s’explique comment cette presse aboyante, pareille à un Cerbère aux cent têtes dont les gueules baveuses passent le temps à s’entre-mordre, montre tout d’un coup une