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pente naturelle aussi de toutes les coteries, le sens large de ce mot magique se trouve rétréci, car on s’empresse de nous apprendre qu’il ne s’agit point ici de la « vérité objective, qui échappe aux combattans, mais de ces vérités individuelles, puisées librement dans une conviction profonde, et librement exprimées. » Allez jusqu’au bout du document, vous verrez qu’il continue à se préciser : on nous met en garde contre les formules, mais pour proclamer ensuite que c’est sur le terrain du naturalisme que l’art nouveau a posé ses fondemens. En sorte qu’il n’est point difficile de comprendre que, malgré la déclaration en sens inverse, l’espèce de vérité qu’on va poursuivre ne sera vraie qu’à condition qu’elle rentre dans une formule arrêtée d’avance, et que cette formule est celle du naturalisme. Nous voulons bien chercher la vérité, mais nous sommes sûrs de la posséder d’avance. Elle est à nous. En dehors d’elle, que nous détenons, dont nous sommes les prêtres, les soldats, les gardiens, il n’y a que mensonge et convention. Encore une fois, toutes les coteries littéraires partent du même principe et le déforment, dans l’application, de la même manière, par suite des mêmes partis pris. Ce n’est point là leur seul défaut : qu’elles adoptent la doctrine de l’art pour l’art, ou la doctrine inverse qui met l’art au service des idées, elles affectent de posséder le monopole de l’art comme celui de la vérité ; et, de même qu’elles déforment la vérité de parti pris, elles déforment l’art en artifices, à cause des limites qu’elles lui imposent, à cause des esthétiques préconçues où elles le veulent enfermer. Par haine de certaines conventions, elles tombent dans d’autres, qui ne valent pas mieux. Elles affichent le culte de l’indépendance pour la mieux renier : l’indépendance qu’elles demandent à leurs adeptes est une indépendance particulière, comme leur art, comme leur vérité. Elles blâment Procuste qui ne voulait accueillir que des hôtes de même taille, mais elles imitent ses procédés : car elles sont intransigeantes et vaniteuses, de la cruelle intransigeance, de l’inconsciente vanité propres aux sectaires de toutes sortes, qu’ils croient prononcer leurs arrêts au nom du Dieu qu’ils ont fabriqué sur la mesure de leur âme ou de la Vérité qu’ils ont adaptée à la mesure de leur intelligence.

Hélas ! ces traits fâcheux se reconnaissent dans l’œuvre de M. Hauptmann !

Me trouvant l’été dernier en Allemagne, je causais de lui avec un des écrivains de la jeune école. Je le comparais à un autre écrivain, indépendant, celui-là, qui se trace un large chemin en dehors de toute coterie, — M. Hermann Sudermann, — pour lequel je ne cachais pas ma préférence. Mon interlocuteur s’étonna,