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Le 12 mars 1810, le ministère prussien prit une résolution quelque peu hâtive, et, dans une vue par trop simpliste de la situation, conseilla au roi de mettre un terme aux difficultés où se débattait la Prusse en cédant la Silésie à la France. Cette décision. qui a été depuis très durement reprochée aux ministres prussiens et par Frédéric-Guillaume lui-même, indiquait quelque incohérence dans leurs vues. Elle succédait peut-être trop brusquement aux ardeurs patriotiques de la fin de 1809. Il est à remarquer qu’elle fut prise à l’unanimité ; le rapport fut signé de Goltz, d’Altenstein, de Dohna, de Beyme et de Scharnhorst lui-même. Les historiens les plus récens les ont excusés en faisant remarquer la situation où les avait placés le refus persistant de Frédéric-Guillaume III de suivre leurs conseils. Des hommes qui avaient conseillé à leur souverain les résolutions les plus désespérées et qui s’étaient heurtés à l’entêtement le plus irréductible n’avaient-ils pas quelque raison d’envisager avec découragement une situation qui avait été créée malgré eux ; et Frédéric-Guillaume, qui avait tout le premier accepté en 1809 l’éventualité d’une cession de territoire, avait-il bien le droit de s’en indigner comme il le faisait ?

Mais la médiocrité, couronnée ou non couronnée, ne renonce pas au droit de juger et de condamner la médiocrité, et c’eût été demander trop à la modestie de Frédéric-Guillaume III. S’il était sévère pour le génie et les caractères entiers, il ne se croyait pas tenu d’être indulgent pour l’insuffisance. Le ministère Altenstein-Dohna fut condamné dans son esprit, longtemps même avant qu’il ne se résolût à le sacrifier.


II

Les ministres qui avaient dirigé d’une main si faible et si inhabile la politique extérieure de la Prusse depuis la fin de 1808 ne s’étaient montrés ni plus experts ni plus résolus dans la conduite de ses affaires intérieures.

Le ministère comprenait deux hommes de premier ordre. Guillaume de Humboldt, par son ouverture d’esprit et sa haute culture intellectuelle Scharnhorst, comme penseur et comme homme d’action, méritent tous deux d’être placés au premier rang. Cependant le ministère qui gouverna la Prusse ; depuis la fin de 1808 jusqu’au milieu de 1810 ne porte point leurs noms. Il est demeuré pour les Prussiens le ministère Altenstein-Dohna. Condamné par son origine, par les circonstances au milieu desquelles il végétait, il a porté dans l’histoire, par une sorte de