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le gouvernement n’a-t-il aucune responsabilité dans la situation actuelle ? Il en a une, à coup sûr. Nous ne parlons pas du ministère actuel, mais du gouvernement pris dans l’ensemble de sa conduite depuis un certain nombre d’années. Trop souvent il a favorisé des espérances, sachant parfaitement bien qu’elles n’étaient pas réalisables. Il renvoyait à l’avenir les difficultés qui devaient se produire le jour où les déceptions inévitables rempliraient les cœurs d’amertume. En attendant, il fallait vivre, et, pour vivre, réunir autour de soi le parti républicain tout entier. On avait besoin de tous les élémens de ce parti, depuis le centre jusqu’à l’extrême gauche, où l’on voyait figurer déjà M. Basly en veston élégant et M. Thivrier en grosse blouse bleue. Le socialisme, moins difficile à vivre qu’aujourd’hui, parce qu’il n’avait pas encore rallié des hommes de talent comme M. Jaurès et M. Millerand, commençait pourtant à étaler son programme. Lui répondait-on que ce programme était chimérique, et qu’un gouvernement honnête devait le déclarer au pays ? Point du tout ! On lui disait d’attendre, de patienter, de ne pas aller trop vite : chaque chose viendrait à son heure, il fallait préparer les voies avant de s’y engager. Si l’on ne promettait rien, on laissait tout espérer. Rendons justice au ministère actuel : il paraît, sur ce point encore, être animé d’un esprit différent de celui de ses devanciers. M. le ministre de la Justice, que ses origines rattachent pourtant à des opinions assez avancées, a prononcé il y a peu de jours à Grenoble un discours digne d’une pleine approbation. Plusieurs de nos ministres ont parlé pendant ces vacances, et ils ont dit généralement de bonnes choses : aucun n’en a dit de meilleures que M. Antonin Dubost. C’est à propos de l’inauguration d’un asile de vieillards qu’il a traité de ce qu’on appelait autrefois la question sociale. L’occasion importe peu. Les pauvres vieillards destinés à écouler le reste de leurs jours dans l’asile qu’on vient de leur ouvrir auront un médiocre profit à tirer des paroles qu’ils ont entendues, mais elles ne s’adressaient pas seulement à eux. M. le ministre de la Justice a affirmé sans ambages que ceux qui promettent aux hommes « l’entrée prochaine d’une sorte d’Éden terrestre, » et qui leur font croire qu’il dépend du gouvernement de les y introduire, les trompent ou se trompent sur la nature immuable des choses et sur les moyens d’action des pouvoirs publics. « Il n’y a pas, a-t-il dit, d’autre moyen pour les hommes d’améliorer leur sort que de subordonner leurs efforts et leurs initiatives aux conditions mêmes de la vie sociale. Mais ils sont assurés ainsi, si leur action s’exerce avec une suffisante énergie, d’une amélioration incessante et continue. » Quant au gouvernement, que peut-il et que doit-il ? Il ne lui appartient pas de se substituer à l’initiative, à l’activité, à la prévoyance individuelles. Il doit assurer à tous la liberté de discuter et de défendre leurs intérêts. D. doit concourir à la création et au développement de toutes les institutions destinées à protéger les hommes contre la faiblesse de l’âge,