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les princes échappés essayaient en vain d’organiser la résistance. La plupart d’entre eux finirent par accepter le fait accompli. Le 6 octobre, ils signèrent une déclaration qui fut considérée comme un acte de soumission et qui passait outre à l’emprisonnement du prince.

Au fond, pourtant, les grands se sentaient atteints et cherchaient une occasion de témoigner leur mécontentement. Nevers, qui faisait toujours tout à contretemps, la leur fournit. Il apprit l’arrestation de Condé au moment où il allait en Allemagne pour recruter des adhérens à son grand projet de conquête de la Terre-Sainte. Il n’était pas content de la cour de France, qui le payait de bonnes paroles et qui, au fond, ne cherchait qu’à se débarrasser de lui et de ses encombrantes sollicitations. Saisissant une occasion de faire sentir sa mauvaise humeur, heureux peut-être aussi d’une circonstance qui retardait un voyage voué d’avance à l’insuccès, il écrivit au roi une lettre fort insolente et se mit à lever des troupes dans sa province de Champagne. Il essaya de s’emparer de Reims, dont La Vieuville lui refusa l’entrée. De plus en plus mécontent, il se mit en relation avec son voisin Bouillon, qui s’était renfermé à Sedan, et qui de là attendait que quelque mauvais vent soufflât. La cour comprit que l’incendie allait se rallumer. On envoya à Nevers plusieurs émissaires chargés de bonnes paroles de la reine. Ils le trouvèrent exaspéré. On recourut alors à l’homme de confiance qui avait eu part aux actes vigoureux qui venaient de s’accomplir, Luçon. On savait que, par le Père Joseph, il avait eu des relations assez intimes avec Nevers. On comptait que son sang-froid et son autorité épiscopale auraient facilement raison de la pieuse et faible imagination du rebelle attardé. Richelieu s’y trompa lui-même. Il crut qu’il réussirait, en promettant au bon duc, dont il flattait la manie, le concours du roi pour la croisade. La reine, conseillée par l’évêque, écrivait : « Pour vous faire paraître combien j’affectionne ce qui peut vous apporter du contentement, je veux embrasser plus que jamais le dessein pieux que vous savez, et écrire de nouveau, pour cet effet, au pape et au roi d’Espagne par le chartreux dont vous m’avez parlé plusieurs fois. » Précisément à cette époque, le Père Joseph postulait à Rome pour la cause sainte. Les deux amis, séparés pour l’instant, travaillaient donc momentanément dans le même sens, mais avec des vues bien différentes. Richelieu, muni de ces bonnes paroles, alla trouver Nevers. Il crut l’avoir gagné après quelques heures d’entretien et revint à la cour plein de confiance. Mais quand il eut le dos tourné, Nevers lui échappa de nouveau et l’évêque, sans s’attarder à d’inutiles tentatives, conseilla lui-même